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François Chobeaux, s’appuie sur les travaux des secteurs Vacances Loisirs et Animation Volontaire des Ceméa, pour évoquer l’un des aspects éducatifs des séjours de vacances collectives : le développement de l’adolescent dans la réalisation de soi.
Au fait, un séjour de vacances d’adolescents ça sert à quoi ? Et en quoi ça peut être « éducatif » ? Et éducatif... de quoi ?
On entend souvent dire que, pour les mineurs, l’intérêt des vacances collectives est l’apprentissage de la vie en collectivité. Le problème est que l’on découvre des horreurs quand on tente de comprendre les sous entendus de cette attente : la vie en collectivité ne serait que souffrances, frustrations, négation de l’individu, au fond quelque chose au confluent des contraintes de la chambrée militaire, de la promiscuité subie par le marin par le prisonnier, et des forcément tristes internats scolaires ou sociaux. Soit, grosso modo, un système où l’individu est nié et parfois méprisé. Alors effectivement il faut vite préparer les jeunes, et bien, à survivre dans cette jungle qu’est nécessairement une collectivité ! Nous ne nous faisons pas d’illusions. Bien souvent, et pour autant que les personnes responsables n’y portent ni attention ni intérêt, la vie en collectivité peut être productrice de souffrances. Et ce n’est pas la peine d’aller chercher jusqu’aux souvenirs militaires ou dans les textes de Charles Dickens ; bien proches de nous il y a des collectivités de loisirs et de vacances de mineurs dont les fonctionnements sont détestables.
Ceci n’est pas inéluctable. Nous savons, car nous le mettons en œuvre, que le temps des vacances collectives peut être pour un enfant ou un adolescent un temps fantastique pour la découverte de soi, de ses potentialités, de ses richesses, pour autant que les façons de vivre et d’être aient été réfléchies pour cela.
Et nous savons aussi qu’un adolescent a besoin d’être dans un groupe, ou plutôt dans des groupes divers, pour grandir en étant soutenu par ces groupes de pairs. Alors si nous voulons les aider à grandir, et pas seulement les préparer à une éventuelle « survie » future dans des collectivités forcément aliénantes, installons des vies collectives dont nous n’aurons pas honte. Il suffit pour cela de réfléchir à l’existence, à l’autonomie et à la responsabilité de ces adolescents dans l’organisation globale des séjours, dans la façon dont les groupes sont accompagnés dans leurs dynamiques, dans les pratiques d’activités, et dans l’organisation de la vie quotidienne.
Exister dans l’organisation globale des séjours
C’est être informé des possibles : toute la clarté sur les réservations d’activités et sur les possibilités d’annulations de celles ci, sur les divers postes des budgets de fonctionnement avec les indispensables aides à la compréhension, anticipation globale prenant en compte le nombre de jours restants à vivre ensemble, explications sur les choix - à justifier - effectués par l’équipe d’encadrement...
C’est être associé à l’adaptation, voire à la modification de ces possibles : par une organisation et une institutionnalisation des procédures de consultation et de propositions de décisions (1), par la recherche systématique d’échanges avec les ados de la part de l’équipe d’encadrement.
Beaucoup d’institutions éducatives évoquent souvent l’éducation à la citoyenneté dans leurs revendications pédagogiques. Mais dans les vacances collectives que nous défendons, on ne se contente pas de discourir sur la citoyenneté, ou bien on ne la limite pas à quelques objets marginaux, os à ronger pour notre bonne conscience, et elle n’est pas qu’une possibilité à l’usage exclusif de seulement quelques heureux élus. Ici on apprend « pour de vrai » à gérer tous ensemble et en permanence l’espace des possibles, et les impossibles sont expliqués et justifiés. Cela suppose évidemment que soient réfléchies une réelle association des jeunes, une écoute permanente, et l’installation d’espaces d’échanges et de négociation clairement posés comme tels.
Exister en tant que sujet actif dans les dynamiques des groupes
C’est apprendre à lire la dynamique d’un groupe, cet apprentissage s’appuyant sur la vie partagée : un repas préparé en commun, un camping, une activité, un conseil de fonctionnement institutionnalisé...
C’est donc apprendre à se comprendre soi-même dans la dynamique d’un groupe : sa façon d’y adhérer, de se mettre à distance, le statut qu’on y cherche... Pas besoin pour cela d’exercices ou de décodages psychosociologiques complexes, mis en œuvre par des spécialistes dans le cadre d’expérimentations exceptionnelles. Les animateurs des séjours sont tout à fait capables, en toute modestie et en finesse, d’aider chacun dans sa prise de recul et sa prise de distance.
C’est apprendre à exister en tant qu’individu dans le groupe, ici également en partant des réalités vécues et partagées dans le séjour : pouvoir oser intervenir dans ces fameux conseils de fonctionnement, pouvoir être entendu et soutenu dans l’expression d’un désaccord portant sur des pratiques vécues avec quelques autres...
Ce cadre nécessite des séjours à effectifs limités et une organisation du collectif (adolescents et adultes) qui permette et favorise les relations entre les personnes. Il nécessite également de la disponibilité et de l’écoute de la part des adultes, et des possibilités institutionnalisées et soutenues de prise d’initiatives et de paroles pour tous les participants.
Se découvrir par la pratique d’activités
C’est découvrir que, même si on a très peur et qu’on est certain d’être nul, il est possible de s’engager dans des activités de création esthétique, artistique, corporelle, parce que les autres sont porteurs et que les animateurs sont là pour aider à oser.
C’est découvrir qu’on est capable de grimper en haut de cette falaise sans se faire tirer outre mesure par la corde, capable d’arriver en bas de cette piste de ski sans tomber, d’arriver en bas de ce rapide en restant dans le bateau. Découvrir que l’on a des possibilités physiques, s’autoriser à dire le plaisir de ce moment de lutte avec les éléments, avec sa peur, avec soi. Et être capable d’assumer devant les autres d’être ce que l’on a pu être, brillant ou approximatif, peureux ou fanfaron... comme eux.
Cela suppose que les activités soient conçues et réfléchies comme étant des supports au projet pédagogique du séjour, comme des moyens de le mettre en oeuvre et non pas comme une fin en soi. En même temps, le rythme de vie et l’organisation des journées ne doivent pas être construits sur une programmation figée et imposée, à l’image de l’organisation scolaire actuelle. Vive l’adaptation permanente !
Trouver sa place dans la vie quotidienne
C’est apprendre à se prendre en charge : laver son linge (2), ranger ses affaires personnelles, organiser son temps...
C’est apprendre à s’organiser avec d’autres, à co-organiser des actions collectives dont un groupe est chargé : un repas, une grande opération de rangement, les courses pour une randonnée, la révision et la préparation du matériel et des matériaux pour une activité à vivre...
C’est savoir ce que l’on a à faire pour les autres, pas plus que chacun des autres, et savoir qu’il est important de le faire.
Tout ceci est simple, pour autant que la façon dont le séjour a été pensé le permette réellement : un effectif limité ; une place pour chacun dans le projet global avant le séjour dans le cadre d’une longue dynamique de préparation ou seulement sur place, une fois arrivé ; un brassage social et culturel, et des rencontres avec d’autres jeunes auparavant inconnus. Sinon : un groupe trop important aux dynamiques de foule où la seule survie est alors le micro groupe excluant les autres, des dynamiques d’activités portées par de petits consommateurs égoïstes, le maintien et donc le renforcement de l’enfermement dans le groupe-quartier avec les mêmes animateurs que durant toute l’année...
Reste un élément fondamental, abordé à plusieurs reprises dans cette réflexion : les animateurs, l’équipe d’encadrement. Que faire avec des post adolescents mal équilibrés ? Que faire avec des personnes qui ne fonctionnent pas en équipe soudée et cohérente ? Que faire avec des aigris qui ne sont là que parce qu’ils n’ont pas trouvé autre chose pour gagner de l’argent cet été... ? Etre animateur de vacances d’adolescent exige d’être un adulte équilibré qui sait qu’il n’est plus ado ou « jeune », exige d’assumer de n’être pas seulement le grand et bon copain, exige d’être là pour les aider à grandir, à se découvrir, à se connaître eux-mêmes au delà des apparences. A les aider à apprendre à être les vrais eux-mêmes.
En quoi les séjours d’adolescents sont ils « éducatifs » ? Au fond ce n’est pas parce qu’on y apprend à faire du kayak ou du théâtre ou des micro fusées. Pas plus parce qu’on y « découvre le milieu », ni qu’on y apprend à faire son lit ou à laver ses chaussettes. Pour nous, c’est au fond, avant tout, parce qu’on y apprend à être soi. Le vrai soi, dans de vraies situations : pour de vrai.
(1) Cf . tous les acquis de la pédagogie institutionnelle, efficacement transférables et adaptables dans des séjours de vacances de mineurs. Et puis nous disons bien « propositions de décisions » ; les décisions finales portant sur des sujets complexes appartiennent à l’équipe d’encadrement, qui en rendra compte en les explicitant.
(2) Il y a ici un rôle éducatif des animateurs beaucoup trop méconnu. Ah, les cours et les séances de lavage de chaussettes entre mecs...
François Chobeaux