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Manger... ce qui implique tant de choses ! En CVL et en CLSH nous souhaitons généralement permettre la découverte, l’équilibre, la convivialité. Mais force est de constater qu’on ne mange pas tous la même chose, et pas de la même façon.
Manger ou ne pas manger, telle est la question !
Manger : une part de mon identité ?
Manger, un mode de relation ?
Voici quelques petites histoires de bouches, pêchées ici ou là, reflet subjectif de quelques situations vécues autour de l’alimentation.
Noémie, 11 ans refuse dès le premier jour du centre de s’alimenter. Elle vient me voir et m’explique qu’il ne faut pas la forcer sous peine de la rendre malade. Elle explique ses difficultés à s’alimenter en racontant que quand elle était petite, elle a failli s’étrangler et que depuis elle a peur de manger. J’essaie d’en discuter avec elle... difficile. Le sujet a l’air verrouillé. En tout cas, elle semble très stressée par les moments de repas et aborde ce sujet au bord des larmes. Je profite d’un appel du papa à la colo pour lui en toucher deux mots. Il n’est pas surpris, loin s’en faut et me conseil de « laisser couler »...
Le soir, on en cause en équipe et on décide effectivement de « laisser couler » et d’encourager Noémie à manger au moins un yaourt et du pain, et de voir ce qui se passe. Deux ou trois repas plus tard, Noémie commence à partager les repas. Petit à petit, elle y prend goût. Personne n’exerce de pression sur elle. En deux ou trois jours, elle s’alimentera comme les autres.
Damien, 11 ans, a découvert de la menthe qui pousse sur un terrain de la colo. Et si on faisait du thé à la menthe ? Après s’être assuré avec un adulte que la menthe en était bien, Damien a pu partir à la cueillette et préparer chaque soir avec bonheur du thé à la menthe pour les amateurs.
Un groupe d’adolescentes fréquentant l’accueil ado du CLSH a décidé de partir camper. Elle ont monté leur projet. Un budget leur est attribué pour constituer les repas. J’accompagne ce groupe au supermarché le plus proche. Elles font leurs courses tandis que je fais quelques achats pour le centre. Arrivée aux caisses, j’observe sans mot dire le contenu du chariot : jus de fruits hyper sucré, jambon sous cellophane, chamallows et autres bonbons, pain. Je questionne les filles sur leurs choix en mettant en avant l’aspect hypercalorique des aliments choisis. En effet, ces adolescentes sont malgré tout soucieuses de leur poids. Mais elles ne voient pas le problème.
En rentrant du centre, j’en parle à mes collègues et nous décidons d’aller, nous aussi, manger au feu de bois sur le même terrain que le groupe d’adolescentes. Nous partons faire les courses avec un projet de menu : une raclette sur ardoise, des brioches fourrées au fromage, pierrade, brochette de fruits. Nous disposons du même budget que les filles. Les courses faites et le matériel rassemblé, nous voilà partis pour notre pique-nique en soirée. Les filles ont commencé à manger sans tenir compte de nos conseils pour allumer un feu. Elles ont entamé les jus de fruits et les sucreries et laissé le jambon qui gît au milieu des herbes... Elles ont faim !
En une demi-heure, nous avons installé un espace cuisson sur braise et un feu polynésien fait chauffer les ardoises. Les brioches sont prêtes, les brochettes de fruits cuisent. Quelques filles du groupe sont intriguées... Elles s’approchent. « Ouahhh, ça a l’air trop bon... » « J’ai trop faim ! » « Vous êtes scouts ou quoi ? »... Ayant prévu assez de denrées pour les partager, nous les invitons à manger avec nous. Certaines refusent, d’autres se laissent tenter. Et nous prendrons le temps de discuter de ce qu’on peut faire avec un même budget et d’expliquer le choix de notre menu.
Je mange avec des enfants lors d’une classe de découverte. Je ne suis qu’intervenante à la journées sur l’activité théâtre, alors on ne me demande pas plus que d’animer mon atelier. Mais à midi je mange avec les enfants. Me voilà à une table avec cinq d’entre eux. Au menu, gratin dauphinois. D’entrée, dès l’arrivée du plat, plusieurs enfants demandent « C’est quoi ? - Du gratin dauphinois ! » Trois d’entre eux affichent soit un air franchement sceptique, soit carrément dégoûté. Je vante les mérites du gratin, mais n’ayant jamais été très douée pour insister lourdement sur l’intérêt de goûter tous les plats, je ne sers que ceux qui le souhaitent. Un enfant refuse en retournant directement son assiette : ok, message reçu. Deux autres acceptent de goûter. On négocie ensemble la quantité. Finalement l’un d’entre eux trouve ça super et en reprendra trois fois. Pendant le plat de résistance, l’enseignante passe et s’indigne du fait que la fillette de ma table n’ai même pas goûté. Elle lui sert un part puis va regagner sa place. La fillette scrute son assiette, elle remue avec dégoût le gratin du bout de sa fourchette. Le temps passe. Tout le monde à fini... Sauf elle. Ni vu ni connu, je débarrasse la table avec l’aide d’un enfant et je jette le contenu de son assiette sans mot dire.
Hassan, huit ans, a grand appétit. Il se sert une fois, deux fois, trois fois... Dès l’entrée il demande de quoi sera fait le plat, puis, au plat, s’informe de ce que sera le dessert. Toujours la bouche pleine. Il mange vite et salement. Rien ne semble l’arrêter. Après une réunion d’équipe, il sera décidé d’aider Hassan à se resservir moins, et à limiter les quantités.
Un CLSH rural. Le centre a lieu dans les locaux de l’école. Il y a une salle à manger, mais pas de cuisine : juste de quoi faire réchauffer les plats et faire la plonge. Le centre est livré par une entreprise de restauration industrielle. Les plats arrivent en barquettes. Ces dernières sont passées au four et il en ressort un plat préparé, vaguement reconnaissable, un peu visqueux, franchement pas appétissant. Les enfants râlent. Les enfants goûtent. Les enfants laissent. Quel discours tenir ? Vanter les mérites de cette purée décolorée, aseptisée, sans sel, sans cholestérol, sans bactéries, sans goût ? Les enfants en arrivent même à délaisser les si fameuses frites. « Oh non pas les frites ! », qui, réchauffées, tiennent plus du carton que de la pomme de terre. Et nous, adultes, serions bien incapables de déterminer quel type de viande nage sous la sauce, sans avoir été lire le menu auparavant.
Mélanie Le Fèvre, les Cahiers de l’animation n°49, CEMEA, 1er trimestre 2005