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Il y a loin de la coupe aux lèvres. Il y a loin du projet à sa réalisation. Il y a les protagonistes eux-mêmes, à qui, souvent on n’a pas demandé si ce projet ils en voulaient ! Et qui de plus en plus souvent manifestent un désaccord. Plus ou moins fort. Et manifesté plus ou moins... abruptement !
Lorsque le premier jour nous avons fait connaissance avec un groupe d’enfants surexcités par le voyage et l’arrivée au centre, il a bien fallu accuser le coup et réagir vite pour adapter le déroulement de la journée à ce qui était en train de se passer. Nous avions imaginé des enfants un peu perdus, tristes ou angoissés et déstabilisés par la séparation. En une heure, la plupart d’entre eux avaient déjà leurs repères dans le centre. Et ils passaient bien plus de temps à courir, rire et crier qu’à pleurer.
Lorsque les coins permanents ont été retournés par les enfants, il a fallu dépasser notre colère de voir l’objet de notre travail jeté à terre et piétiné. Il a fallu se demander pourquoi les enfants ne jouaient pas dans ces espaces comme nous l’avions envisagé. Recueillir les observations de chacun et s’en nourrir pour avancer dans notre projet. Et ne pas laisser tomber nos intentions de départ. Garder l’intention, adapter les moyens. Repartir du début en mettant quelques caisses à disposition, puis deux, puis trois, pour enfin reconstituer les coins permanents que l’on visait au départ ou aménager des espaces complètement inventés en cours de séjour. On pensait tout de suite les voir jouer spontanément. En fait il aura fallu pas mal de temps pour ça.
Lorsque les enfants ne tenaient pas à table, ne tenaient pas assis, mangeait n’importe comment, quand ce moment est devenu pour les adultes le plus ardu de la journée, il a fallu décortiquer, négocier les délais d’arrivée des plats avec l’équipe de cuisine, requestionner notre cohérence concernant les règles de vie à table. Envisager d’en parler avec les enfants. Mais d’abord se dire entre nous ce qui causait friction, conflit ou agacement, confronter nos représentation du temps de repas, de l’alimentation. Repenser l’articulation des différents moments de la journée. D’abord accepter de se mettre d’accord, de travailler pour avancer dans le même sens, même si ça tiraille.
Lorsque le réveil individualisé a commencé à s’effiler, alors qu’on venait à peine de se dire :« On tient le bon bout ! » Il a bien fallu se lever encore à 5 heure, à 6 heures, pour accueillir, rassurer, recoucher. Ne pas se décourager. Continuer de croire à cet objectif qu’on s’était fixé en équipe et faire évoluer les moyens. Et c’est ensemble que nous nous sommes relayés pour que ça marche. On a bâillé, râlé, souffert de nuits trop courtes. On pensait retrouver quelques heures de sommeil au bout de quelques jours, mettre le paquet au départ puis lâcher un peu la bride... Belle illusion. Notre effort a dû être constant.
D’une façon globale, nos principes et objectifs de départ ont été furieusement bousculés. Les réunions d’équipe furent un passage obligé pour que le projet s’adapte aux enfants et non l’inverse. Parce que ce n’était pas aux enfants de faire l’effort de se conformer à ce projet, à ses objectifs et moyens. À nous d’accepter de mesurer le décalage entre nos intentions et les réalités quotidiennes, à nous de constater qu’on s’était peut-être un peut trompés, qu’on avait pas tout anticipé, que nos représentations des 4-6 ans devaient évoluer en prenant en compte des compétences qu’on avait pas imaginées et des capacités laissées en sommeil. Et pour cela, à nous de produire en cours de route, malgré le manque de recul, l’analyse des situations vécues et de nous donner les moyens de nous recaler tout au long du séjour. Pour faire vivre le projet. Réinventer des moyens, des situations, des espaces pour permettre - et non contraindre - l’autonomie, l’épanouissement. Et faire que le projet reste au service de l’enfant. Qu’il ne soit pas finalement qu’un outil qui se suffise à lui même.
Mélanie Lefèvre, Les Cahiers de l’animation Vacances Loisirs, CEMEA, Octobre 2005.