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Ça s’est passé en août 2002. Ils avaient entre 11 et 14 ans. Ils étaient quarante et un. Certains venaient de Saint-Denis, d’autres de la Courneuve. Moi, ça faisait 17 ans que je faisait de l ’animation, mais c’était la première fois que j’étais assistante sanitaire sur un centre de vacances
J’ai eu la chance de rencontrer le directeur, qui m’a proposé que l’infirmerie devienne aussi un lieu d’écoute et de parole. Ça a fait comme un déclic, j’ai tout de suite pensé aux atelier de philo que j’avais expérimentés en tant qu’institutrice avec des enfants de 6 à 8 ans, mais jamais encore avec des adolescents. Les enfants, les ados, se posent autant de questions concernant les grands problèmes de la vie que nous, adultes.
J’ai investi cette infirmerie très rapidement, en y apportant ma guitare, mon djembé, mes disques, mes livres de contes, de quoi dessiner, mon micro, mon lecteur de CD, afin de pouvoir les partager. Mais comment installer mon désir d’être en relation, à l’écoute, de créer du lien ? Quelques lits transformés en canapés, des fauteuils, une disponibilité affichée, de quoi faire un tisane, et puis moi, comme je suis, avec dans ma tête l’envie d’avoir un regard bienveillant sur chacun de ces adolescents.
Ce lieu a été un lieu de passages, de soins, de paroles. Beaucoup de choses s’y sont passées, aussi belles les une que les autres. Cette infirmerie n’était jamais vide. Un jour, quatre garçons sont entrés en me demandant : « Clara, on veut savoir ce que tu penses de la prison. »
Et ils ont commencé à raconter...
Un autre jour, une adolescente m’a dit : « C’est bizarre, cette infirmerie, c’est comme si on était obligé d’être nous même ; c’est l’atmosphère, on se sent en sécurité. Même quand on ne parle pas, j’ai l’impression que tu nous écoutes. » J’ai répondu « Merci pour le cadeau »
Et puis il y a eu ces fameux ateliers de philo. Ils se déroulaient après le repas du midi, « pour ceux qu’ça branche ». Quand on s’y retrouvait, le groupe choisissait le thème sur lequel il avait envie d’échanger. Pendant quinze minutes, on s’enregistrait. Chacun pouvait demander le micro et parler sur le thème, moi je me taisais.
Dans un deuxième temps, on réécoutait l’enregistrement et on pouvait demander à l’interrompre pour réagir à ce qu’on entendait, toujours dans l’intention de comprendre la pensée de l’autre.
Moi j’étais garante de la circulation de la parole et de la sécurité de chacun à l’intérieur du groupe. Pour cela, au début de chaque atelier, le cadre était posé : la durée, la règle de prise de parole, l’obligation de non-jugement, la confidentialité.
Le jour du retour, dans le train, deux jeunes me disent : « Nous on a jamais osé venir aux ateliers philo parce qu’on s’exprime pas trop bien, mais on voudrait en faire un pour voir ce que c’est, mais seulement tous les deux » Alors j’ai dit oui, même si le cadre ne s’y prêtait pas complètement. On s’est retrouvés debout, entre deux wagons, avec un petit magnétophone au milieu de nous trois. Et ça a donné : « Le vol ». À la fin, l’un des deux a dit « Ouais, c’est bien de truc, on peut parler de la guerre maintenant ? » Je ne pouvais plus les arrêter...
Je voulais qu’il y ait une trace de ces onze ateliers de philo [1]. Je les ai donc retranscrits dans l’ordre où ils ont été vécus, et de manière anonyme.
Merci à tous ceux et celles qui, par leur présence à ces ateliers philo, par leurs paroles mais aussi leurs silences, ont permis à ce recueil d’exister.
Clara Genoun, Les Cahiers de l’Animation n°41, CEMEA, 1er trimestre 2003.
[1] Un recueil de quelques uns de ces ateliers est disponible ci-dessous