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Ne pas avoir d’activité programmée n’est pas synonyme de ne rien faire. L’enfant a parfois besoin de ces moments de tranquillité, de retour sur lui et d’appropriation des espaces. C’est un véritable choix et une véritable activité.
Le périscolaire peut lui aussi être pensé comme un temps libre dont les espaces peuvent être investis par les enfants avec des coins dans lesquels ils vont pouvoir venir jouer, bricoler, se déguiser, dessiner, construire, lire, écouter… ou ne rien faire.
Ce titre pourrait paraître provocateur. S’ennuyer est presque considéré comme un gros mot, dans le contexte actuel, où l’on cherche souvent à vouloir rendre optimum le temps. Que ce soit en famille, à l’école ou en séjour de vacances, la tendance est de planifier, prévoir, organiser et utiliser au mieux le temps pour proposer aux enfants le maximum de sollicitations.
La mise en place d’activités quantifiables et évaluables semble être un gage de sérieux et de qualité à faire valoir auprès des parents. Les exemples sont nombreux, que ce soit dans le cadre périscolaire ou dans le domaine des vacances. « Ici, ce n’est pas une garderie ! » clame en forme de slogan un organisateur en évoquant les activités qui sont proposées aux enfants à la sortie de la classe. L’intention est certes louable. On cherche à rendre les enfants plus intelligents, à développer leurs potentialités... On veut leur permettre de découvrir, d’apprendre, de s’épanouir…. Mais, cette abondance de moments contraints, dans lesquels les enfants sont en permanence encadrés et sollicités par les adultes, n’est pas toujours adaptée aux réalités éducatives et aux besoins de chacun.
Ne pas avoir une activité programmée, normée et organisée n’est pas synonyme de ne rien faire. L’enfant a parfois besoin de ces moments de tranquillité, de retour sur lui et d’appropriation des espaces. C’est un véritable choix et une véritable activité. Régulièrement, quelques élèves demandent à rester dans la classe pendant la récréation, ou se débrouillent pour y traîner tout seul ou à effectif très réduit au moment de la sortie. Parfois, ils ne font rien de particulier et sont simplement là.
À les voir ainsi, on pourrait se dire qu’ils s’ennuient en comparaison des autres qui jouent dans la cour. Parfois, ils dessinent, écrivent au tableau, utilisent les ordinateurs, discutent, regardent, déambulent, lisent des albums qu’ils ont pourtant en permanence à leur disposition, mais qu’ils semblent apprécier différemment… Les volontaires changent. Certains sont plus réguliers que d’autres, mais le petit groupe de 3 ou 4 enfants, pourtant sans cesse différent, semble toujours se délecter comme d’une gourmandise du fait de rester en classe. Quelles sont leurs motivations ? Un besoin d’être tranquille et de se couper de l’agitation du grand groupe, d’être en petit comité avec des copains, l’envie de rester au chaud, de se retrouver en classe dans un autre contexte, ou simplement de prendre son temps …
Laisser aux enfants des espaces et des temps qui leur permettent de pouvoir s’organiser entre eux, dans des activités qui ne sont pas dirigées par les adultes me semble aussi une donnée importante dans l’organisation du temps de l’enfant.
Ces espaces éducatifs de jeu et de relations où les enfants sont autonomes et dans lesquels il leur faut prendre en compte l’autre, négocier, s’organiser, gérer les conflits et les leaders, adapter l’activité en fonction du groupe sont d’une grande richesse dans la construction personnelle de chacun.
Or, pour certains enfants, ces temps ont tendance à se réduire. Il y a bien les récréations, mais ce sont des moments très normés institutionnellement avec une délimitation courte du temps. Ailleurs, en périscolaire, en famille, en séjour de vacances, ils ont bien souvent de moins en moins de moments pour être ensemble, jouer et s’organiser.
En classe, je rencontre régulièrement des enfants, qui éprouvent de grandes difficultés à travailler en groupe et pour lesquels la négociation avec l’autre se révèle extrêmement difficile. Comme ces quatre élèves de CE1, qui devaient ensemble trier des aliments et les classer. Ils présentèrent à la classe un document contradictoire dans lequel chacun avait gardé son idée de départ. Lorsque les autres enfants pointèrent les incohérences, la réponse fut chaque fois individuelle : « Ça, ce n’est pas moi qui l’ai fait. » Savoir observer les autres, chercher à les comprendre, s’organiser, négocier, partager des savoirs et des réflexions, mutualiser, construire ensemble ne s’apprend pas qu’en classe dans les travaux de groupe. C’est une construction lente et multiple dans laquelle ces moments informels et autonomes entre pairs pour jouer, discuter, s’ennuyer ou décider ensemble me semblent importants.
Mais, pour certains enfants, ces moments d’autonomie ont tendance à disparaître de leur environnement, avec des arguments de rentabilité et de sécurité. Une activité dirigée étant supposée plus éducative et mieux surveillée. La mise en place du temps périscolaire n’échappe pas à cette logique.
Pour ces activités proposées aux enfants après la classe, l‘organisation tourne souvent autour de deux préoccupations récurrentes : mais que font les animateurs ? et qui surveille ?
Cette question de la sécurité, omniprésente actuellement, a tendance à uniformiser la structure proposée et à formater ces activités périscolaires naissantes sur le modèle : l’animateur dirige et surveille son activité. Pourtant, l’animation, étymologiquement et pédagogiquement parlant, est bien plus vaste que cet espace où elle se trouve bien souvent contrainte. Fernand Deligny écrivait : « Sois présent, surtout lorsque tu n’es pas là. »
Le rôle de l’animateur est de créer ou de mettre en valeur des espaces matériels, de relations humaines et d’activité dans lesquels les individus vont pouvoir développer leurs potentialités, apprendre et se construire en fonction de leurs besoins et d’un environnement. Le périscolaire pourrait permettre d’avoir des activités autonomes. Mais cela est plus complexe à organiser et à faire vivre qu’une structure dans laquelle chaque animateur dirige et surveille son activité. Il ne s’agit pas de laisser des enfants dans une cour et d’exercer une surveillance de l’ensemble. Il s’agit d’organiser l’espace et de permettre aux enfants de se l’approprier. Mettre en place des coins dans lesquels ils vont pouvoir venir jouer, bricoler, se déguiser, dessiner, construire, lire, écouter… ou ne rien faire. Il s’agit aussi de donner la possibilité aux enfants de faire évoluer ces coins d’activités en fonction des réalités, de leur intérêt et de l’intérêt général.
« Est-ce qu’avec mon copain, on peut emporter des livres dans la cabane ? » La réponse de l’animateur va être fonction d’une réalité locale et impliquer une organisation, une gestion. Comment s’assure-t-on que les livres reviennent en état, sont remis à leur place ? C’est une situation beaucoup plus complexe à gérer que lire un conte à un groupe. Cela oblige aussi les animateurs à circuler entre les différents lieux. Ils savent où sont les enfants, viennent voir, s’adaptent à la situation.
Parfois, ils sont sollicités pour un conseil, pour une participation temporaire, pour parler ; parfois le groupe est entièrement autonome et leur passage n’a pour but que de rappeler implicitement la présence d’un adulte sur lequel ils peuvent compter. Si un enfant est isolé, il faut arriver à percevoir s’il y a un problème ou s’il éprouve simplement le besoin d’être tranquille un moment.
Ces activités autonomes représentent de vrais temps d’animation. Elles ne s’opposent en rien à la richesse et l’intérêt d’activités plus guidées et structurées, mais en sont complémentaires.
Dans le contexte actuel de mise en place de projets pour l’aménagement des rythmes scolaires et du temps de l’enfant, il me semble important d’avoir à l’esprit cette multiplicité des besoins, même celui de ne rien faire. L’activité ne se limite pas à une forme dirigée. Elle peut être multiple et doit permettre aux enfants de prendre le temps d’apprendre à être autonomes.
Olivier Ivanoff, Les cahiers de l’Animation N°86, CEMEA, Avril 2014