Accueil > Textes > Relations > Relation avec les familles > Téléphone maternel
Tellement difficile de se séparer de son enfant. Tellement plus difficile quand il s’agit d’un « petitou », d’un « c’est mon tout petit ». Alors parfois le téléphone tente de combler des vides. Est-ce véritablement son objet ?
Lors de ce séjour maternel de dix-sept jours, nous avions décidé en équipe de donner la possibilité aux familles d’appeler à tout moment et nous avons fait en sorte que l’enfant puisse répondre à l’appel, sauf en cas de sortie ou s’il était en train de dormir. Dans ces deux cas, on s’organisait pour qu’il puisse rappeler, de préférence le jour même. Nous avons fait ce choix parce qu’il nous semblait indispensable de permettre à un jeune enfant partant dix-sept jours loin de sa famille, de parler à ses parents, de raconter ce qu’il vit du séjour à sa façon et avec ses mots. Nous ne souhaitions pas censurer la parole de l’enfant ou la « traduire ». De même que nous respections la demande d’un parent de parler avec son enfant, de l’entendre juste pour le plaisir d’échanger ou à un moment d’inquiétude : « Est-ce qu’il va bien ? Il ne pleure pas trop ? Est-ce qu’il a des copains ? » Les parents vivent plus ou moins bien la séparation du séjour. Pour certains d’entre eux, c’est plus difficile.
Nous nous sommes vite rendu compte que permettre une communication entre l’enfant et sa famille, dans le respect de chacun, de l’intimité exigeait un travail ardu et beaucoup de temps. Les enfants au téléphone ne racontaient souvent que des bribes un peu décousues de leur journée ou encore décrivaient ce qu’ils voyaient au moment de la communication téléphonique : « Regarde, maman, le camion qui passe. » La nature des échanges téléphoniques était très variée.
Les enfants alternativement pleuraient, se taisaient, ou encore refusaient de parler dans le téléphone, un peu fâchés après papa ou maman ou trop occupés à jouer. Certains fabulaient ou extrapolaient : « Aujourd’hui, j’ai pas mangé... » En somme, l’accès « illimité » au téléphone était loin d’être suffisant pour garantir une communication de qualité entre enfant et parent.
Il nous a donc semblé indispensable qu’un adulte soit présent auprès de l’enfant lors de l’échange téléphonique. Cet adulte était l’animateur référent de l’enfant ou encore un membre de l’équipe de direction. Il ne s’agissait pas de censurer la parole de l’enfant ou de la détourner mais souvent de proposer au parent une discussion entre adultes, au cours de laquelle l’animateur pouvait expliciter la journée de l’enfant, sa vie quotidienne, ses activités, ses sorties, son humeur. Les dires de l’enfant, et l’échange avec son parent avaient une valeur affective fondamentale, mais l’échange entre adultes permettait un échange d’informations tout aussi important pour la famille de l’enfant : savoir qu’il a bien dormi, bien mangé, qu’il joue, qu’il a des copains, qu’il est allé à la piscine... L’animateur avait alors pour fonction de rassurer, de raconter la vie du centre, et surtout de dire la vérité, difficile équilibre à trouver. Quand l’inquiétude du parent est très grande il est parfois difficile de ne pas l’alimenter. Des détails du quotidien qui peuvent paraître banals pour l’animateur référent peuvent être pour le parent qui s’inquiète de savoir si tout va vraiment bien, une source d’inquiétude, et de doute.
Quelquefois, nous avons demandé à des parents d’espacer leurs appels ou bien, nous leur avons proposé une communication avec l’animateur référent mais pas systématiquement avec l’enfant. Recevoir trois appels par jour peut être vraiment déstabilisant pour un enfant. Il reçoit l’inquiétude familiale et la perçoit. Il lui devient alors difficile de vivre son séjour sereinement.
L’encadrement d’un séjour d’enfants d’âge maternel comporte la prise en compte et la gestion de ces inquiétudes : celle de l’enfant qui ne savait pas qu’il dormirait là, celui qui, ce soir-là, a un coup de cafard alors que jusque-là tout se passait bien, celle du parent qui trouve le temps bien trop long ou qui finalement aimerait retrouver son enfant plus tôt que prévu. La confiance entre parents et équipe doit se « tricoter » tout au long du séjour car une ou deux réunions avec les familles avant le séjour, aussi conviviales puissent-elles être ne peuvent pas suffire. Lorsqu’elles appellent, les familles demandent des nouvelles et souhaitent parler avec leurs enfants mais elles vérifient aussi auprès des adultes que le centre, son déroulement, les activités, les relations entre enfants et entre adultes et enfants correspondent à ce qu’elles souhaitent a minima. Certains parents ont parfois besoin d’entendre des paroles rassurantes même s’ils savent que rien de particulier ne s’est passé. Ils ont besoin d’être confortés dans leur choix d’avoir laissé partir leur enfant en centre.
Pour pouvoir entendre tout cela, dire les mots qu’il faut, sans minimiser, mais sans non plus dramatiser, il est nécessaire d’avoir traité en équipe non seulement la question de la place des familles mais aussi, peut-être, celle du départ, de la séparation : quel est le sens du départ pour un jeune enfant ? Quel est le sens du départ pour sa famille ? Exprimer ses représentations, c’est un moyen pour l’équipe de ne pas tomber dans le piège facile des jugements hâtifs ou d’attendre des parents ce qu’on voudrait qu’ils soient. Ensuite, travailler sur les modalités de communication avec les familles au cours du séjour, envisager les attitudes possibles des membres de la famille et celles de l’enfant, c’est se donner les moyens d’y répondre avec pertinence pour que l’enfant puisse profiter pleinement de ce séjour hors de sa famille.