Accueil > Textes > Activités > Général > Planifier n’est pas projeter
Une mode grandissante envahit nos centres de loisirs : la planification des activités. Au rythme actuel les CLSH deviendront demain des supermarchés de loisirs où les enfants iront puiser dans les divers rayons quelques plaisirs éphémères et individuels. La direction d’un CLSH dans une importante municipalité du Nord m’a permis de me confronter à cette manie pédagogique qui guette chacun d’entre nous.
Lundi 7 août.
Le 20 août matin j’utiliserai le minibus un peu, beaucoup, pas du tout.
10 h 30 : les centres de loisirs ont débuté depuis une heure et demie. Un responsable de la municipalité réunit les 4 directeurs de centre pour établir un planning précis de l’utilisation du minibus pour le mois. Chacun sort son programme d’activités nécessitant un déplacement. Déconcerté par tant de précisions je ne réserve pas le minibus. Les enfants sont au centre depuis une heure et demie, je n’ai aucune certitude sur ce qu’ils auront envie de faire dans deux ou trois semaines.
Jeudi 10 août. Nous jouerons avec les bateaux à la maison
Il est 16h45, depuis près de trois heures une dizaine d’enfants s’affaire sur des bateaux. Scies et marteaux en main, le contre plaqué est devenu catamaran, bateau à aube, péniche. Les bateaux ne sont pas tout à fait finis mais il est l’heure de ranger. Chacun voudrait l’avoir terminé pour le ramener chez lui. L’animateur explique que l’activité ne fait que commencer. « Demain nous les essaierons et nous les améliorerons pour qu’ils flottent mieux ». Les protestations fusent de toute part : trop contents d’avoir chacun leur bateau, ils le ramèneront et s’amuseront avec chez eux. À chaque jour son activité. Même les enfants semblent penser que le centre de loisirs n’est pas un lieu de projet.
Lundi 14 août. Si on faisait un radeau !
9 h 30 : Les enfants sont réunis par grand groupe pour échanger sur leur projet de la semaine. Un petit groupe émet l’envie de construire un radeau. L’activité n’a pas été prévue par les adultes. Qu’importe ! ou plutôt tant mieux. Chacun imagine le radeau sur lequel il voudrait naviguer. On réfléchit sur les matériaux nécessaires, on se questionne sur les endroits où nous pourrons le mettre à l’eau... L’activité a déjà commencé. Le lendemain, les premières difficultés surviennent, nous ne trouvons pas de bidons. Le découragement pointe. On se met à regretter de ne pas avoir loué des canoës kayaks. Notre soutien devient primordial. C’est maintenant que notre action doit être efficace pour la réussite des projets des enfants.
Jeudi 17 août. Soldes chez les moyens !
Le directeur du centre des moyens nous propose gratuitement un stage voile pour une quinzaine d’enfants. C’est un séjour qu’il a réservé et payé depuis le mois de mars. Malheureusement aucun enfant de son centre n’est intéressé et toutes les pressions sur eux restent inutiles. Avant toute réponse nous parlons de cette opportunité avec un groupe de grands ; beaucoup sont intéressés. Nous accepterons donc. Dure loi que celle du commerce.
Mardi 22 août. Vacances ou tourisme
Visite de deux groupes qui sont en camping. L’un est sur un Point Accueil Jeunes où il pratique du canoë, l’autre dans un camping rural où il s’initie au VTT Le contraste entre les deux est saisissant. Près de cent quarante jeunes de différents centres sont rassemblés dans le premier qui compte quelques dizaines de crépitements de saucisses sur la braise, injonctions clinquantes d’animateurs, rires énervés d’enfants, le tout donne une impression de soirée Saint-Raphaêloise ratée. Deux vigiles en uniforme circulent pour la sécurité de tous donnant la dernière touche touristique qui manquait à ce tableau... Pour obtenir une place dans ce lieu il avait fallu retenir des dates dès février. Une atmosphère paisible règne sur le deuxième camp. Il est vrai que les touristes ne se bousculent pas dans ce petit bourg rural. Le groupe dispose d’un grand espace où il peut cuisiner, jouer ou courir sans gêner les autres vacanciers. La réservation s’est effectuée au début du centre après avoir consulté les enfants. Tous les lieux réputés étaient complets. Il avait « fallu » se replier sur ce camping. A-t-on vraiment perdu au change ?
Mercredi 23 août. Tennis en salle. Non merci !
La municipalité dispose de courts de tennis extérieurs et intérieurs. Les courts extérieurs sont réservés aux membres du club. Une atmosphère lourde pèse dans les courts intérieurs mal isolés. Deux demi-journées par semaine nous sont réservées. Nous ne les utilisons quasiment pas. Aussi nous prévient-on gentiment que nous allons perdre le bénéfice de la salle. Que faut-il comprendre ? Est-ce inadmissible de ne pas profiter d’une structure qui est mise à disposition ? Devons-nous absolument envoyer des enfants pour conserver le tennis à notre palette d’activités ?
Vendredi 25 août. Une fin pétillante
Un groupe de grands voudrait partir en randonnée canoë kayak deux ou trois jours. Nous regardons sur une carte, estimons les distances, repérons les villages que nous allons traverser. Il reste à contacter les mairies pour leur demander de nous mettre à disposition un endroit pour camper et un local pour se laver. Après une demi-journée de recherche nous disposons d’un stade municipal, d’une salle des fêtes et d’une dépendance dans une ferme. Le séjour se termine dans une semaine, les esprits commencent à pétiller. Un peu tard, c’est vrai. Mais au moins savons-nous que des bulles sommeillent en chacun de nous.
Inutile de prendre rendez-vous avec le vent pour jouer avec lui...
Chacun tirera les enseignements qu’il veut de ces diverses situations. Elles sont pour moi des exemples qui mettent en évidence les limites d’une planification. Les avantages apparaissent nombreux. Elle permet à l’équipe de direction de fixer son projet dans les moindres détails. Elle donne une impression de gestion rigoureuse et maîtrisée du centre ainsi que des repères précis qui sécurisent l’équipe d’encadrement. Elle permet d’utiliser au mieux les équipements sportifs et culturels.
Mais les enfants dans tout cela, à quel moment les prend-on en compte ? Tout le temps bien sûr car c’est dans leur intérêt que tout ceci est déployé. Mais a-t-on conscience que nous nous préoccupons plus de l’enfant consommateur que de l’enfant individu. Certains répondront que la liberté de chacun est respectée parce qu’ils ont intégré les activités à la carte dans leur planification. Mais le choix des activités n’est pas un remède miracle qui rendrait notre action « éducative ». La liberté de choisir reste inutile si elle ne s’accompagne pas du pouvoir d’agir et de décider. Et quel pouvoir donne-t-on aux enfants quand tout est programmé des semaines à l’avance ? AUCUN !
D’autres rétorqueront que tout cela n’est que discours car attendre de connaître les envies des enfants c’est s’exposer à ne plus pouvoir rien faire. Pour nous, c’est oublier qu’il est inutile de prendre rendez-vous avec le vent pour jouer avec lui, que l’on peut pratiquer de multiples jeux dans des endroits, même s’ils ne sont pas conformes aux normes de telle ou telle autre fédération, que l’on peut rencontrer la nature sans forcément réserver un créneau horaire dans une ferme pédagogique...
Faudra-t-il demain planifier les moments où l’on pourra rire avec les copains, aller à la rencontre des autres, discuter de tout et de rien. Peut-être... Aujourd’hui existent déjà de nombreux temps libres après le repas de 13 h 00 à 14 h 00, voire 14 h 15, pour faire mieux qu’à l’école. Bien triste est l’aventure qui s’arrête au coin de la salle à manger.
Bien sûr directeurs et animateurs ne sont pas seuls en cause. Tous nous nous laissons enfermer dans une logique dont il est difficile de s’échapper. Plus l’offre est importante et apparente, plus la satisfaction de chacun est importante.
Celle de l’organisateur qui a l’impression que son argent est bien dépensé, celle des parents qui ont des certitudes sur les activités de leurs enfants, celle des animateurs qui n’ont plus l’angoisse de « qu’est-ce que je vais pouvoir faire demain avec eux », celle du directeur qui a la conviction d’offrir de vraies vacances, celle des enfants qui reçoivent de multiples propositions sans même les demander. C’est certainement la réaction de ces derniers qui est la plus surprenante. Habitués à constamment recevoir, ils ne sont pas toujours capables de projeter collectivement les loisirs qu’ils voudraient vivre.
Le droit à l’aventure
Le droit aux vacances c’est le droit à l’aventure, à l’extraordinaire, à l’exceptionnel.
MARC LAVOGEZ - Les Cahiers de l’Animation, 4ème trimestre - 1994