Accueil > Textes > Publics > Ados > Quelles places des ados dans les loisirs collectifs
Les adolescents ne fréquentent pas les structures de loisirs organisées : ce constat issu de la recherche menée par J.Zaffran est sans appel pour les associations de l’éducation populaire, plus particulièrement investies dans l’organisation des séjours de vacances et de loisirs, et de formation des personnels d’encadrement. François Chobeaux membre de la direction pédagogique des CEMEA, s’est livré à une analyse de la demande des adolescents aujourd’hui et des réponses que les différents acteurs qui les côtoient sont tentés d’y apporter. Choix de société, valeurs éducatives sont en jeu dans cette relation qui parfois oppose adultes et adolescents.
La recherche conduite par l’équipe de la faculté de Bordeaux nous renvoie à la question permanente de la place qui est faite à l’existence réelle et active des adolescents dans le système des loisirs : les articulations complexes entre leurs demandes explicites parfois stéréotypées, parfois originales, les possibilités et les choix effectuées dans l’offre de formes et de contenus de loisirs par les institutions, la conception que chacun peut avoir des besoins de ces jeunes...
Au fond, comment les adolescents sont-ils considérés ? Deux grandes possibilités sont identifiables dans les pratiques des institutions du loisirs des jeunes.
Ou bien les adolescents sont tenus pour des usagers des services mis en œuvre par des structures dont certaines sont purement et clairement commerciales, dont beaucoup d’autres agissent dans la sphère du relais de service public. Dans cette première situation ils se comportent au mieux en consommateurs avertis et individuels en établissant des rapports entre les coûts et les prestations, du moins ce qu’ils en perçoivent, pour autant qu’ils soient en capacité de décider ou d’être associés aux décisions portant sur l’utilisation de leur temps libre. Au pire ils opèrent par rejets en considérant, comme le montrent l’étude de J.Zaffran ainsi que les conclusions d’une récente enquête commandée par les Francas (1), que le temps des loisirs collectifs est pour eux un temps contraint et non pas un temps choisi. Encore faudrait-il pouvoir faire la part des représentations extérieures que se font ceux qui ne connaissent pas dans leur réalité ces formes de loisirs par rapport à ceux qui les vivent régulièrement, même si nous n’ignorons pas que des formes et des choix d’organisation peuvent être légitimement rejetées par les jeunes à qui elles sont destinées.
Ou bien les adolescents sont tenus pour des acteurs responsables, ce choix important amenant à considérer l’accompagnement éducatif dans une perspective plus large de société ou chacun serait capable d’opérer des choix en pleine connaissance de cause. Le fameux projet d’éducation populaire...
Encore faut-il que cette responsabilité soit réelle, et que les choix portent sur des sujets sérieux et profonds ; ainsi pouvoir choisir entre ski nautique et scooter des mers ne paraît pas engager au fond la préparation d’un projet de transformation sociale.
Comment le temps et la fonction des loisirs collectifs sont-ils considérés ?
La présentation de l’étude sur les loisirs des adolescents montre la centralité de l’école dans l’organisation et le choix des loisirs. La métaphore d’un archipel a été développée : l’île principale est celle de l’école, et organise de fait la vie de l’ensemble géographique. Les jeunes passent d’île en île, celle des pairs, celle de la famille, celle de l’école, par des moyens plus ou moins complexes, ou bien ils en ignorent certaines par non identification de leurs modes d’accès, d’autres choisissent d’en contourner certaines à la nage...
Cette centralité de l’école référée au temps et à la fonction des loisirs reste cependant à interroger. Si elle a pu se comprendre, et se défendre, faisant alors de l’institution scolaire le pôle de référence d’actions post et péri scolaires, nombre des applications de ce principe sont aujourd’hui en débat. La responsabilité centrale des loisirs collectifs est-elle de permettre de mieux réussir à l’école, au risque d’instrumentaliser l’offre de loisirs en l’articulant avec les programmes scolaires ? Ou bien est-elle d’aider des enfants et des adolescents à grandir de façon active et responsable, les capacités d’autonomie et d’initiatives alors acquises concourrant plus globalement à la réussite dans la vie sociale et donc dans la vie scolaire ? Il est évident qu’aujourd’hui l’école, comme les loisirs collectifs, sont parmi les pôles des actions publiques qui contribuent à l’éducation des jeunes. Mais il y en a d’autres : l’association à la vie politique et sociale locale, l’action des éducateurs de rue, les fonctions des maisons de justice... Tous agissent à leur manière, nécessairement en complémentarité, mais à égalité et non pas dans un rapport de dépendance fonctionnelle. Non aux seuls loisirs immédiatement « rentables » !
Alors, comment parvenir à ce que cette volonté de responsabilité active passe dans les actes ?
Il y a trois grandes attitudes possibles qui peuvent être adoptées vis à vis de groupes de jeunes dans le cadre de structures de loisirs collectifs. Chacune a ses défenseurs acharnés, persuadés qu’ils sont les seuls à être dans le vrai.
La première : « laisser venir » en étant attentif aux frémissement d’envies et de mobilisations qui sont alors à accompagner. C’est le choix explicitement mis en avant par Jean Houssaye, s’appuyant sur une pratique personnelle de responsable de séjours collectifs de mineurs. Cette attitude n’est pas celle des CEMEA, car nous ne voulons pas rester à attendre ces frémisssements qui ne viendront peut-être plus jamais chez des adolescents qui ont appris trop précocement à ne plus rien espérer, à ne plus rien envisager. Quand la mise en autonomie est brutale, seuls ceux qui savent nager survivent. Et nous prétendons être intéressé par tous, voire même avoir une action réparatrice sur les plus mal en point. Comme nous ne croyons pas en des capacités autogestionnaires innées chez les jeunes pas plus d’ailleurs que chez qui que ce soit, nous ne souhaitons pas laisser se développer cette pseudo autonomie qui risque de n’être que la reproduction de pratiques précédemment vécues ou l’appel à des représentations de pratiques les plus conformistes.
La deuxième : « entendre ce qui vient » tel que ça vient, et s’appuyer dessus pour avancer avec les jeunes. Tout est bon, une envie de match de foot comme l’idée d’une randonnée à vélo, car les objectifs sont toujours les mêmes : travailler sur les capacités à s’organiser ensemble, à se projeter dans le temps, à faire évoluer le projet en prenant en compte les réalités rencontrées aux détours de l’aventure... Certains font la moue quand il est question de partir d’où en sont les jeunes, où qu’ils en soient et quel que soit le niveau d’invention ou de reproduction stéréotypée de l’envie, de la demande. D’autres, dont nous sommes, estiment que pour cheminer avec quelqu’un il est nécessaire de marcher à ses côtés et donc de partir ensemble d’où il est.
La troisième : « suggérer », donner envie en parlant d’idées, d’envies, en évoquant des souvenirs partagés avec d’autres adolescents, en fait en offrant de partager du désir. Le risque évident est alors de tellement amener l’autre dans mon désir qu’il risque de s’y perdre. Il est connu, et cependant souvent identifiable dans des pratiques d’animation. Il est cependant possible de proposer de partager, d’inviter, tout en sachant à temps se mettre de côté. Ce n’est pas parce que le risque de l’induction trop forte, voire de la manipulation existe qu’il doit faire rejeter a priori cette démarche. Il appartient aux animateurs d’être vigilants vis à vis d’eux-mêmes.
En fait nous ne défendons exclusivement aucune des trois attitudes. Ce qui est certain c’est que nous rejetons le systématisme qui voudrait qu’une seule soit la bonne ; nous inclinons même à penser, très pragmatiquement, que la qualité de l’action repose largement sur un savant dosage des trois attitudes selon les moments, les groupes, les individus...
Mais au fait et « ces jeunes là », qui vivent dans les zones sensibles objets de l’étude ?
Il est d’abord nécessaire de bien clarifier le vocabulaire pour dire de quoi et de qui on parle. Comme l’étude le montre bien il ne faut pas assimiler trop vite et de façon simpliste zones sensibles, parents dépassés et adolescents sauvageons. Il y a dans ces zones urbaines des parents qui vont bien (même chez les ouvriers et les chômeurs, si, si !), il y a des jeunes qui vont bien, et certains jeunes qui vont mal ou très mal. Non à l’image simpliste et enfermante du « jeune des cités » qui ne sait parler que verlan, qui est forcément en échec social, qui est identifiable par sa casquette et son survêtement immaculé, et qui est plutôt de parents arabes ou africains.
Il n’empêche que certains sont déjà marqués, peut-être même psychologiquement cassés par les expériences qu’ils ont vécues. Ils ont de grandes difficultés à se projeter dans des futurs heureux possibles, peut-être parce qu’ils n’ont jamais appris, peut-être parce qu’ils ont vécu et assisté à tant d’échecs qu’ils ne veulent ni ne peuvent plus rien rêver. Certains se méfient des adultes, de tous les adultes, cette méfiance allant parfois jusqu’à la haine et au mépris. Combien de mauvaises expériences ont-ils vécues pour en arriver là ?
Beaucoup sont extrêmement sensibles aux signes les plus dérisoires, les plus matériels, du paraître et du faire. C’est le domaine des choix de vêtements que l’on fait ostensiblement dont les marques très sélectionnées doivent être vues par tous, de l’attirance pour les loisirs les plus spectaculaires et les plus consommatoires dans une démarche probablement compensatoire et identificatoire aux classes moyennes... (Mais cette attirance pour les marques est-elle particulière à leur milieu ? D’autres marques règnent ailleurs : Weston, Mont Blanc, Burberry...)
Ces jeunes sont aussi ceux qui mettent à mal nombre d’organisations éducatives et sociales qui leurs sont destinées dès lors qu’elles et leurs intervenants apparaissent en défaut, de cohérence, de structuration et de rigueur.. Mal dans leur peau, mal dans leur tête, ils souffrent encore plus de l’incohérence des institutions et en sont alors des révélateurs douloureux.
Et ce sont eux, bien évidemment, qui ont le plus à retirer de loisirs collectifs où ils pourront retrouver ou bien trouver enfin confiance en eux et en les autres, où ils pourront rencontrer des adultes à la fois tendres et fermes. Ces formes de loisirs ne sont pas que pour eux, et n’ont pas à être construits que sur leurs dynamiques particulières au risque d’en faire des lieux d’exclusion. Mais ces formes de loisirs sont clairement parmi les dernières possibilités de réparation que peut mettre en œuvre notre société pour ceux là de ces enfants. Ceci dans des formes qui préservent et qui permettent la rencontre et le brassage culturel et social, et non pas avec comme seule réponse le renforcement des tendances actuelles à une ségrégation de fait qui conduit à proposer du hip hop au centre social pour certains qui seraient « à socialiser », et de la danse classique au conservatoire pour d’autres afin qu’elles y développent leur grâce.
Tout ceci Avec quelles organisations, et quels acteurs ?
Il y a besoin pour les loisirs collectifs dits de proximité de présences humaines et institutionnelles multiples et variées, allant de la plus souple et plus proche à la plus « classique », solide et structurée. Il n’est pas possible que la seule réponse qui se développe soit celle de l’offre de loisirs pré établis, pré choisis dans un système qui se reproduit alors par habitude. Non pas que nous pensions qu’il faille s’interdire l’offre ; mais cette seule réponse est insuffisante et peut être aliénante. Nous souhaitons voir se développer en même temps, en complémentarité et de façon coordonnée avec les pôles institutionnels des pratiques, des systèmes souples où des animateurs ont suffisamment de formation et de disponibilité pour aller à la rencontre des adolescents, pour écouter leurs envies et leurs rejets, et pour construire peu à peu avec eux les loisirs collectifs qui les aideront à grandir. Nous souhaitons également voir se développer tous les intermédiaires possibles entre ces deux extrêmes. Et puis, quelle que soit la forme d’intervention choisie, de la plus souple à la plus structurée, il est évident qu’une adaptabilité permanente doit y régner.
Notre réflexion sur l’organisation des séjours de vacances va dans le même sens par des chemins pour partie différents, liés à la spécificité des départs et de la constitution des groupes. Nous souhaitons voir se développer le plus possible de séjours à effectifs limités, de « taille humaine » constitués de quinze, vingt, trente jeunes au très grand maximum. Ceci pour que le groupe ne soit pas masse, foule, afin que chacun puisse y exister réellement. Nous pensons que ces séjours doivent faire autant que possible l’objet de vraies préparations avec leurs participants, et que lorsque ces préparations actives sont impossibles, leurs formes et leurs choix d’organisation doivent permettre aux participants d’y inscrire leurs marques. Et il est évident pour nous que plus l’aventure proposée est complexe, plus le choix lucide de chacun à venir la vivre doit être recherché au préalable.
Nous nous méfions énormément des loisirs immédiatement « rentables », où l’objectif central d’augmentation des performances scolaires ou des savoir-faire socialement valorisés vient trop souvent faire passer largement au second plan les intérêts et les besoins des adolescents. Non pas que nous rejetions les séjours linguistiques, les vacances théâtrales ou scientifiques ; mais nous sommes particulièrement attentifs à ce que les adolescents y existent en tant que tels au pire en dehors de la dominante du séjour, au mieux en appui sur celle-ci.
A ce propos nous nous interrogeons sur des trop grandes similitudes qui ne nous satisfont pas. Quand les mêmes intervenants proposent des contenus et des démarches identiques pour des pratiques d’activités physiques, de découverte musicale, de création plastique ou d’expression théâtrale, aussi bien dans les établissements scolaires que dans les lieux de loisirs collectifs, quand des questionnaires-guides pour visites de musées ou d’expositions sont utilisés indifféremment en sorties scolaires et le mercredi, il nous semble que de nécessaires différences ne sont plus marquées, et que des confusions risquent de s’installer chez les adolescents comme chez les adultes. On n’a pas les mêmes objectifs, donc on ne peux pas mettre en œuvre les mêmes démarches dans le cadre scolaire que dans le cadre des loisirs collectifs. L’un est structuré par des objectifs d’apprentissages normés, l’autre est structuré par la volonté d’accompagner les jeunes dans des relations, des découvertes de soi et des autres, dans des ouvertures sur des mondes et des pratiques peu connues. La prédominance de la recherche de rentabilité scolaire et sociale dans le temps des loisirs va à l’encontre des besoins des adolescents, y compris de leurs besoins de prendre par moment de la distance avec le monde de l’école.
Enfin, et probablement parce qu’aux CEMEA nous sommes d’irréductibles utopistes du possible, nous sommes persuadés qu’un des enjeux majeurs des loisirs collectifs d’adolescents est de réussir à articuler ce que les chercheurs de Bordeaux appellent le « temps des copains » avec un cadre construit, institué, qui est celui des loisirs structurés. Parce que nous sommes des praticiens qui expérimentons et qui agissons, nous savons que cela est possible. Faire que le temps des loisirs collectifs ne soit plus vécu comme un temps contraint et subi par les jeunes mais soit du temps organisé par eux et pour eux, voilà le défi que cette enquête lance aux éducateurs. Nous l’avons déjà relevé, et travaillons à ce que d’autres s’y engagent le plus fortement possible.
(1) Etude parue en 1999 : « le temps libre des jeunes... ?
François Chobeaux