Accueil > Textes > Activités > Jeux > Quelques éléments de réflexion sur le jeu
Jouer ce n’est pas sérieux ?
Pendant des siècles le jeu, tout comme le plaisir, a été nié et refoulé. Aristote écrivait « Une vie vertueuse ne va pas sans effort sérieux, pas dans un simple jeu » Et tout au long des siècles derniers, l’Église chrétienne en Occident a renforcé cette logique en opposant le jeu au travail. Le jeu représentait l’excès, le vice, le diable, le travail quant à lui la vertu, l’esprit de la parole du Christ
Cette vision négative va perdurer et influencer les milieux laïcs... Diderot parle du jeu dans avec des termes peu flatteurs : « frivole », « sagace » ... Et aujourd’hui encore l’école subit trop souvent cette influence. Le jeu est largement autorisé et favorisé à l’école maternelle mais dès que l’on arrive à l’école des grands « ce n’est plus le temps du jeu mais du travail. » Pour le jeu il reste la récréation et quelques petites heures d’éveil ou d’activité physique. Le jeu est donc conçu comme devant progressivement disparaître au profit du travail. Même des pédagogues progressistes tel que Freinet par exemple maintenait une forme de rejet du jeu. Notre propos ne vise pas à refuser toute distinction entre travail et jeu mais à constater que ce dernier a souvent été déconsidéré.
Cette logique est malheureusement très efficace, et les adultes dans notre société ne jouent que très/trop peu. Dans le temps libre, le jeu est rangé loin derrière la télévision, le cinéma, les vacances... De même il est toujours étonnant de voir la naïveté de certains stagiaires en Base Bafa redécouvrant le jeu : « C’est marrant je ne croyais pas que je pouvais jouer... »
Certains intellectuels et mouvements d’éducation populaire ont tenté de réhabiliter le jeu au cours du 20e siècle. Car au-delà du plaisir pris (ce qui n’est déjà pas si mal) le jeu présente de multiples intérêts : au niveau du développement mental et moteur de l’individu, dans sa socialisation, au niveau des phénomènes transitionnels, comme outil d’exploration et d’invention, comme élément culturel...
Jouer est un sentiment
Mais au-delà de tous les apports éducatifs, sociaux du jeu, celui-ci est avant une source de plaisir. « J’aime jouer, j’aime le défi, le plaisir de gagner, et de remettre la partie en jeu et de peut être perdre. J’aime dans le jeu ses joies, ses excitations. J’aime contourner les règles sans jamais tricher. J’aime l’esthétique du jeu, les beaux coups, les belles parties. J’aime prendre plaisir avec d’autres... »
Le jeu est donc avant tout un sentiment personnel. Pour illustrer ce constat de base, on peut rappeler une histoire de « Graines de crapules » de Fernand Déligny : « Un animateur joue avec 20 enfants. Après avoir fait le jeu proposé, les enfants vont voir l’animateur et lui demande : Et maintenant on peut aller s’amuser »
Cette remarque sur le sentiment de jouer est pour nous fondamental : il ne suffit pas de mettre en place des jeux pour qu’il y ait jeu.
À la variété des sentiments, nous devons être en capacité sur nos centres de proposer une variété des jeux : les jeux sportifs (comme le jeu de barres ou les drapeaux), les jeux de pleine nature (poule renard vipère...), les jeux extérieurs de stratégie (la baguette...), les jeux de caches (la sardine, la gamelle, Pi le hibou...), les jeux de contacts (le roi du souffle, le roller catch...), les jeux de ballon (ballon grenoblois, balle assise...), les jeux symboliques d’expression (l’ambassadeur...), les jeux de société, les jeux d’adresses, d’équilibres (fléchettes, les billards, le bamboléo...), les jeux de hasard (jeux de dés...), les jeux psychomoteurs (piperlet, pierre appelle paul, pan lapin...), les jeux de mots (le quart de singe, le jeu du dictionnaire,...), les énigmes.... On pourrait continuer cette énumération (en tenant compte que tout classement est en partie insatisfaisant et qu’un même jeu peut se retrouver dans plusieurs domaines). Ce qu’il convient, c’est donc de tenter de proposer sur nos centres le maximum de types de jeux pour que chaque personne puisse s’y retrouver.
Un jeu n’est pas neutre
Jouer à la balle au camp/prisonnier puis au ballon grenoblois est un des classiques de nos stages de Base Bafa. Trois changements de règles permettent de passer de l’un à l’autre : le camp des prisonniers entoure complètement le camp adverse, les prisonniers peuvent se faire des passes, et celui ou celle qui se libère n’est pas la personne qui touche avec la balle une personne de l’autre équipe mais du plus ancien prisonnier...
Ces trois changements de règles transforment le jeu et du coup les relations sociales qui existent au sein du jeu. Effectivement nous pouvons constater :
la personne n’étant pas très à l’aise avec le lancer de ballon, une fois prisonnière se trouve vite exclue du jeu dans la première version
La deuxième version entraîne aussi plus d’échanges de balles au sein de la même équipe : nous sommes donc dans un jeu plus collectif, tactique et valorisant moins les individualités à l’aise avec le lancer du ballon...
On voit, à travers cet exemple, que les règles ne sont pas neutres, que le choix du jeu répond à des objectifs pédagogiques... A nous de tenter d’être clairs...
Et le foot ?
Le football est un « problème » quasiment quotidien sur nos centres. Et pourtant on en connaît quasiment tous et toutes les conséquences si l’on ne s’y méfie pas et que l’on n’ y applique pas une présence adulte importante :
En 1998 pendant la coupe du monde, nous avons donc expérimenté, avec quelques animateurs, des variantes sur le football pour tenter de lutter contre ces deux constats : exclusion et enjeux dualistes importants.
Maintenant imaginez que l’on mélange les différentes variantes... Alors n’hésitez pas à tenter ces quelques expériences qui vont permettre d’instaurer d’autres modes de relations que le simple affrontement dualiste entre deux équipes avec toutes les conséquences que vous connaissez déjà.