Accueil > Textes > L’équipe d’adultes > Maladie, mal à dire
Chaque poste dans un centre de vacances a sa spécificité. Chacun a une responsabilité propre, chacun impulse une dynamique qui se met au service du collectif. La fonction d’assistant sanitaire va souvent bien au-delà des simples soins.
Au départ, cela devait être plutôt tranquille cette colo maternelle... mais ce fut une riche expérience. Ils étaient trente-neuf, de quatre à six ans, venant de la banlieue parisienne. Huit animateurs avaient été embauchés. Je faisais partie de l’équipe de direction tant qu’assistant sanitaire, même si nous avions pensé que je pourrais également porter un regard plus spécifiquement pédagogique. Et je m’étais fixé un objectif plutôt général : que chacun se sente bien... vaste programme ! Qu’est-ce que cela voulait dire pour moi ? Une relation individualisée avec l’enfant, attentif à sa sécurité affective et aux signes plus ou moins somatiques pouvant y être liés (mal de ventre, de tête...) ; à sa relation aux « bobos » (j’ai pas mal, je pleure pas... ou alors le drame de la petite écorchure) ; sa relation avec son corps, par le biais de l’hygiène, mais aussi qu’il puisse m’autoriser à le toucher pour tel ou tel soin (mettre un suppositoire, regarder dans sa bouche, le palper...), qu’il ait son mot à dire sur ce que je pouvais faire pour lui. C’était aussi accueillir l’enfant ayant déjà un traitement, un « petit problème » sur lequel il fallait avoir une vigilance plus ou moins importante - quelques-uns avaient des prédispositions asthmatiques, un autre pouvait être sujet à la déshydratation...
Ne pas nier la douleur
Tout cela, j’ai eu maintes occasions de le mettre en pratique. En effet, dès les premiers jours, dès le premier soir, il y a eu des petits tracas digestifs, maux de ventre principalement. Le choix peut être contesté mais ce fut le mien d’entrée : ne pas nier la douleur ou le ressenti de l’enfant (ce n’est pas grave, cela ira mieux demain !), ne pas hésiter à lui demander ce qui peut l’aider à aller mieux : un petit médicament ? S’asseoir un moment ? Que je regarde son ventre ? C’était souvent un peu tout cela à la fois. Et prendre le temps de l’installer dans un petit coin à l’écart pour que je puisse ne m’occuper que de lui, même si ce n’est pas très longtemps. Il y avait toujours un contact physique avec chacun d’eux, un message « codé » pour dire : « Je suis avec toi, je m’occupe de toi ». Bien souvent c’était la main sur le front, le bisou pour savoir s’il y avait température ou pas ; pour les égratignures, il fallait bien prendre le bras ou la jambe dans mes mains pour faire le soin mais, avec douceur, en prenant le temps et puis en tâtant un peu autour de la plaie, en passant le pouce ou la main en caresse pour retirer les petites salissures ou tout simplement pour faire du bien. Il m’a semblé important de m’appuyer sur cette relation au corps auprès de l’enfant : il est loin des siens pendant dix-huit jours, l’animateur ou l’animatrice qui peut faire aussi des câlins va être plus ou moins disponible, plus ou moins à l’aise pour les faire... Je ne faisais pas trop de câlins, mais j’avais le temps de leur consacrer toute mon attention et d’être l’adulte qu’ils pouvaient avoir pour eux tout seul, même pour une minute. Car évidemment, c’était eux qui venaient me solliciter de manière plus ou moins volontaire : la « gamelle » en vélo est généralement peu prévisible... quoique vu certains « pilotages », on pouvait s’y attendre. Il y en a un comme ça que j’ai bien dû soigner une dizaine de fois dans les huit premiers jours : égratignures un peu partout, une belle plaie au menton l’obligeant à ne plus faire de vélo pendant un jour et demi (deux c’était trop long !) : il avait un air un peu blasé pendant les soins : ça pique pas le dakin, j’ai l’habitude de tomber chez moi, même pas mal (sauf pour le menton). Et puis, nous avons réussi à faire en sorte que l’activité vélo soit moins périlleuse (cadre plus clair avec un animateur dédié à ce moment, traçage au sol ayant pour effet de canaliser les trajectoires et les vitesses) : moins de chutes, moins de visite de notre kamikaze à l’infirmerie... Bizarrement, il se mit à avoir mal à une dent peu après comme certains de ses petits camarades à qui je mettais un petit gel buccal, et puis il a eu mal au ventre aussi, avéré certes, mais quand même...
Un rituel
Il ne fut pas le seul à faire cela : un arrêt de traitement, ce petit rituel de rencontre une, deux ou trois fois par jour n’existait plus et un ou deux jours après, rechute ou autre petit problème à traiter avec un nouveau traitement quotidien. Cela m’a questionné : était-ce par ce qu’ils appréciaient véritablement de se faire un peu bichonner qu’ils déclenchaient quelque petites angines ou des maux de gorge ? Si oui, à quel besoin cela répondait il ? N’avais-je pas provoqué indirectement cette relation ? Effectivement il semblerait que nous ayons eu un virus provoquant des maux de gorge avec mal de tête et de la fièvre : mais dès le lendemain du début du traitement, la majeure partie des enfants étaient repartis. Sur huit ou neuf enfants ayant eu un traitement pour ces symptômes, deux ont toussé un bout de temps avec une forme un peu vacillante. Est-ce que je n’appelais pas le médecin un peu trop vite, sachant que je laissais généralement passer une nuit pour voir si la fièvre retombait ou pas ? Autant de questions qui restent en suspens avec des observations, des anecdotes : La tournée des médicaments se faisait généralement au moment du déjeuner le matin de manière déambulatoire (je faisais un peu le tour de la colo pour trouver les enfants), au moment des repas de midi et du soir, voire au moment du coucher : cela était devenu le rituel pour une chambre : les médicaments puis un bisou à chacun. Certains enfants qui n’avaient pas de traitement se rappelaient à ce moment là qu’ils avaient mal à une dent, qu’ils avaient mal à la tête, qu’il fallait mettre un coup de « pchi-pschitt » dans la gorge... Il ne fallait pas oublier le traitement de celui-ci car il avait très mal aux dents : c’était vrai mais c’était ses copains qui réclamaient pour lui. Et puis, à force d’essayer d’avoir un petit truc, W.... réussit un jour à avoir de la fièvre et mal à la gorge, suffisamment longtemps pour que j’appelle le médecin ; une fois le traitement prescrit je me retournais vers lui en lui disant : « Ça y est, je vais pouvoir te donner des médicaments ! » Il me répondit « oui » avec un grand sourire. Ne serait-ce pas un échec pour l’assistant sanitaire si l’enfant, pour avoir une relation privilégiée, n’arrive à le dire qu’en devenant malade ? Ou alors peut-on élargir la question au fait qu’être entendu est important pour l’enfant et qu’il n’hésitera pas à utiliser tous les moyens pour y parvenir, y compris être malade ? Il est vrai que j’ai personnellement été influencé par le cheminement de réflexion de Jacques Salomé quant à la difficulté de se dire aujourd’hui, d’exprimer ce que l’on aimerait et notamment que d’autres s’occupent de nous : dans ce que nous avons du mal à dire. Il n’y a eu que deux enfants auprès de qui j’ai essayé de « couper le cordon » : une demoiselle qui m’aurait bien suivi tout le temps, et qui avait du mal dans sa relation avec les autres enfants et un garçon qui souhaitait que je prenne beaucoup de temps avec lui pour m’amadouer, ainsi que les autres membres de la direction, afin de mieux continuer à faire des siennes durant le séjour.
Les animateurs aussi
Cette relation à travers les traitements n’a concerné qu’une dizaine d’enfants en tout et pour tout, les autres n’ont fait que de rapides passages mais j’ai rencontré quasiment tout le monde. Il y a aussi d’autres personnes auxquelles je pensais lorsque je me fixais cette volonté de les aider à ce qu’elles se sentent bien : les animateurs. Là aussi, ce fut un peu au-delà de ce que je m’étais imaginé : sur les huit, j’ai pu aider, échanger avec, soigner, emmener chez le médecin six d’entre eux. Du simple conseil demandé pour traiter telle rhino-pharyngite, aux soins sur plaie, en passant par une visite aux urgences pour une déchirure musculaire. Je crois que là aussi, il y avait un besoin plus ou moins fort, plus ou moins affirmé de se sentir un peu pris en charge dans ce séjour, qui était une grande découverte, pour ne pas dire un choc, pour la majorité d’entre eux. Se poser, pouvoir parler de soi un peu, même à travers l’expression de symptômes, se faire soigner alors qu’on pourrait très bien le faire soi-même... J’acceptais de le faire sans problème, car cela me semblait aussi important de m’occuper d’eux, pour qu’ils puissent un peu souffler, respirer, se faire un peu bichonner eux aussi, chacun à leur manière. Et bien entendu, cela s’est plutôt déclenché dans la deuxième partie du séjour. Je crois que cette fonction d’assistant sanitaire que j’exerçais pour la première fois est à la croisée de toutes ces personnes et qu’effectivement, l’on peut accepter que chacun puisse vouloir que l’on s’occupe de lui, enfant et adulte.
Olivier Lozay-Marie, Les cahiers de l’animation Vacances Loisirs n°40 / ©ceméa, 4ème trimestre 2002.