Accueil > Textes > Activités > Général > Subir, choisir ou décider de l’activité ?
Il faut prendre l’activité de l’enfant très au sérieux. Parce qu’elle le fonde en continu. Il n’est donc pas indifférent qu’elle soit subie, imposée, sous quelque prétexte que ce soit, ou qu’elle soit de son propre choix à lui ! À l’enfant !
L’activité peut être une riche expérience de la prise de décision pour l’enfant. C’est sans doute même l’un de ses enjeux éducatifs principaux. Ainsi, le dessinateur choisira ses couleurs, son format, ses matériaux ; le joueur prendra les initiatives que les règles du jeu permettent ; le barreur du voilier choisira telle ou telle amure pour remonter au vent... À l’intérieur d’un cadre fixé par le milieu, le projet, la sécurité... et l’animateur, l’enfant sera conduit à faire des choix, ses choix.
Cette réflexion sur le pouvoir de l’enfant est souvent menée à l’intérieur du cadre même de l’activité. Mais sortons du cadre et demandons-nous ce qu’il en est du pouvoir de l’enfant sur le cadre lui-même. Autrement Subit-il l’activité ? La choisit-il parmi un éventail de possibilités ? Peut-il en être l’initiateur ?
Les réponses à ces questions sont pour partie inscrites dans les choix pédagogiques faits par l’équipe d’encadrement de la structure, consignées dans le projet pédagogique et affirmées par une pratique de terrain.
Ces choix permettront (ou ne permettront pas) aux acteurs de prendre des décisions, de faire évoluer le cadre. À mon sens, c’est bien ici que l’exercice, parfois trop formel, de l’écriture d’un projet pédagogique prend tout son sens. Il s’agit de matérialiser des conceptions éducatives par des choix pédagogiques, des modes d’organisation, afin de travailler le milieu dans lequel l’enfant va évoluer, pour donner corps à des mots ou des formules qui restent souvent vagues quand elles ne sont pas précisées par des moyens concrets : liberté, autonomie, socialisation, « être acteur de ses vacances, de ses loisirs »... Si ces mots font souvent consensus, ils recouvrent des réalités très diverses dans leur concrétisation de terrain. Et le débat ne s’ouvre qu’à l’observation des moyens mis en œuvre.
L’organisation des activités sous forme d’un planning fermé et décidé sans les enfants, parfois très en amont du séjour, questionne quant à la liberté des enfants.
Quelle marge de manœuvre les acteurs gardent-ils avec ce dispositif ? De quelle liberté s’agit-il ? Au mieux, de choisir parmi différentes activités quand cela a été prévu... comme on choisit un produit
dans les rayons d’un supermarché plus ou moins bien achalandé. Il ne s’agit pas ici de nier la nécessité de la programmation et de la préparation en amont du séjour : si l’on veut faire de la voile, il faudra des bateaux et un animateur qualifié tout comme il faudra réserver un car pour aller à la mer ou bien encore acheter de la farine et des œufs pour faire de la pâtisserie. Sachons toutefois distinguer projet ouvert et projet fermé, interrogeons-nous sur la place des enfants dans nos projets d’adultes et sur les possibilités que notre fonctionnement offre aux enfants de projeter eux aussi, de permettre aux projets d’enfants d’advenir, du plus modeste au plus élaboré : ne peut-on lire, jouer aux raquettes, faire du vélo que lors des temps dits « libres »... Pourrai-je construire un bateau, faire du théâtre quand le programme ne prévoit que peinture et patinoire... Partir en pique-nique ou faire du camping même si aucun adulte n’y a pensé ? Dans ce contexte, que faire des découvertes que le milieu occasionne ?
Au total, comment prendre en compte la parole des enfants ? Quelle place un projet donne-t-il aux enfants, aux animateurs ? Sur quelle part d’imprévu, d’initiatives, d’inventivité des acteurs parient-ils ? Ou plus prosaïquement, le planning peut-il être construit avec les enfants ?
Lieu de paroles et de régulation du collectif, la réunion peut sous diverses formes, être aussi un moyen d’associer les enfants à la construction du programme d’activités au travers d’un dialogue avec les animateurs.
Quotidienne ou à intervalles plus espacés, elle est repérée dans le temps, au même titre que les repas, comme un lieu où il sera toujours temps et possible de dire. Au quotidien, elle est surtout un lieu d’échanges, de régulation, un lieu où la prise de parole est organisée.
Avec le temps, elle peut devenir un lieu de bilan des activités, de recensement des envies, de socialisation des projets et aller jusqu’à la co-élaboration du programme. Pour être autre chose qu’une lettre au Père Noël ou une longue liste d’activités déconnectées de la réalité du centre, elle est intimement liée au vécu du groupe et se nourrit de celui-ci.
Est-ce qu’on pourra finir les cabanes demain ?
J’aimerais retourner à l’étang pour pêcher.
Et si on allait au cirque qu’on a vu ?
J’aimerais vous emmener dessiner au musée. Qui est intéressé ?
Elle est un outil pour les animateurs. Elle peut être un apprentissage du pouvoir de décider pour les enfants ou les jeunes.
Bien sûr, elle n’est pas sans risque. Elle est lieu de débats, de contradictions, de conflit d’intérêts... qui, bien gérés, peuvent être eux aussi de riches apprentissages. Pour cela, les adultes doivent y jouer pleinement leur rôle en évitant démagogie et manipulation. Le pouvoir des enfants doit être clairement circonscrit et les objets de décision bien repérés. Sans leurre, le jeune doit pouvoir identifier ce qui est « décidable » et ce qui ne l’est pas. D’autre part, la réunion d’enfants ne peut être pour les adultes un moyen de faire dire, de faire croire. Même limité, l’exercice de la décision doit être réel.
Plus qu’un programme écrit en blanc dont il faut remplir les cases, la réunion d’enfants est un lieu où circule l’information quant aux projets d’activités, un lieu de confrontation des envies, un lieu pour susciter la curiosité. Mais le plus souvent, le désir et l’intérêt naissent dans d’autres lieux, à d’autres moments, au quotidien, à table ou dans la cour, lors de moments d’échanges informels. La réunion en est, en quelque sorte, le lieu d’aboutissement.
Dans le jargon des CVL, on a coutume de désigner par « coins d’activités », des lieux aménagés pour permettre aux enfants de pratiquer des activités en autonomie, seul ou à plusieurs. Un coin lecture, un coin dînette, un coin jeux de société, un coin dessin... L’enfant y trouve des jouets, des objets, des matériaux supports d’activités. De tels lieux permettent une mise en activité immédiate et sont le support des activités spontanées des enfants (« Tu joues au ping-pong avec moi ? ») mais aussi, du fait de leur permanence, de projets « Tu feras une partie avec moi après manger ? ». Le rôle des adultes est alors d’enrichir le milieu, de créer des lieux répondant à une grande variété de besoins mais aussi de prévoir un fonctionnement du centre permettant un large accès à ces coins
sous la forme d’une libre circulation.
Sans doute ces coins ne se suffisent-ils pas à eux-mêmes. Un coin dessin deviendra rarement un atelier d’arts plastiques sans l’apport qualitatif d’un animateur qui aura alors pour rôle d’élargir l’univers du connu.
Inviter à s’essayer à de plus grands formats, découvrir d’autres outils que le crayon de couleur, envisager le volume... Derrière le coin, apparaît l’atelier.
On peut, en effet, envisager, au centre de loisirs comme au centre de vacances, la pratique d’un certain nombre d’activités sous la forme d’ateliers permanents. Les possibilités sont vastes. On pense aux activités manuelles bien sûr : un atelier bois, cerfs-volants, fusées... Mais aussi aux activités d’expression plastique ou dramatique, aux activités de communication pour faire un journal régulier, à un atelier nature (ou ville, pourquoi pas) pour proposer des activités autour du milieu. Un atelier ouvert de jeux de terrain ou d’intérieur. Autant que
l’imagination et le désir des participants peuvent en créer. Autant que les ressources matérielles et humaines du centre peuvent en proposer et en supporter. On qualifie ces ateliers de permanents par leur fonctionnement régulier (tous les matins, par exemple), leurs lieux repérés, leurs encadrants attitrés. Ce sont les enfants qui naviguent alors à leur gré entre ces ateliers. Papillonnant et changeant tous les jours d’ateliers ou s’installant dans la durée pour une activité longue. L’animateur oscillant entre l’accompagnement du projet des uns, faisant des propositions pour d’autres, encadrant les apprentissages
d’un troisième.
Certains objecteront que la réunion d’enfants, les jeux libres dans les coins ou les activités sous forme d’ateliers permanents, consacrent une vision de l’enfant-roi ou une forme de laisser-aller. Pour moi il n’en est rien. Il ne s’agit pas de répondre à des caprices mais de parier sur la force des apprentissages et des découvertes motivés par la curiosité, le désir, l’envie, l’intérêt des enfants, de s’appuyer sur une pédagogie qui intervient plus sur le milieu que sur l’enfant, laissant ce dernier s’en emparer. Mais aussi de trouver des situations qui permettent aux animateurs de faire faire des découvertes aux enfants. Dans un tel contexte, l’attention des adultes doit se focaliser sur les enfants qu’une telle situation déroute, ceux qui restent « interdits » ou confinés dans un ensemble d’activités réduites. Plus généralement, l’animateur doit être porteur de la nouveauté, de la découverte en ouvrant des portes sur des univers jusque là
insoupçonnés, parfois étrangers à l’enfant voire rebutants de prime abord. Peut-être faut-il même pousser, se montrer insistant de temps à autre.
L’enfant, l’animateur, le milieu : c’est au cœur de ce triangle que naissent les activités. Tantôt c’est l’un, tantôt c’est l’autre qui est l’élément déclencheur. Sans doute le projet du centre doit-il s’appuyer sur ces trois pôles avec une égale confiance pour proposer une richesse de situations porteuses d’activités. Sans doute la vie est-elle bien plus apte à provoquer l’activité que les plannings...
Si on lui donne un peu de temps.
Laurent Michel, Les Cahiers de l’Animation n°54 – Avril 2006
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