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On parle trop souvent, ou pas assez selon les idées de chacun, de l’intégration de personnes en situation de handicap dans les centres de vacances et de loisirs. C’est pourtant une nécessité, pour eux, pour tous les participants des CVL, pour la société ! Mais ce n’est pas toujours si simple...
Damien a quinze ans, il est trisomique. Il m’est présenté par sa mère à la fin de la réunion d’informations des parents. Notre première entrevue durera à peine quelques minutes. Il sera présent sur le centre que je dirige cette année-là. C’est une colo « classique » accueillant des enfants de huit à douze ans. Damien part en centre de vacances depuis plusieurs années et tout s’est toujours bien passé. Oui mais...
Cet été-là, Damien semble avoir plus de difficultés que les années précédentes. Il ne communique peu ou pas. Il insulte à longueur de journée les adultes de l’équipe. Il refuse de se coucher le soir. Il a des manies : il ramasse le linge sale des autres enfants dont il fait des tas bien pliés dans un coin de la chambre. Il dépoussière. Ce type de rituel peut durer presque une heure avant que Damien n’accepte de se coucher. Il est souvent agressif et coléreux, ce qui peut le conduire à des actes de violence sur du matériel. Il montre le poing aux adultes qui essaient de le raisonner. Il ne s’intègre pas aux activités. Bref, la présence de Damien sur le centre nous est difficile à gérer. Nous sommes perplexes, et nous nous sentons impuissants. Parfois il nous fait peur. Seul un enfant de la colo, son seul copain parvient à le calmer dans les moments de crise. Et nous, adultes, sommes bien embêtés de devoir le laisser faire, faute de mieux. On tient comme ça jusqu’à la fin du séjour. C’est tendu. Damien, on a de plus en plus de mal à le supporter.
A la fin du centre on se dit : « Plus jamais ça ! » A ce moment-là, je n’ai plus envie, plus jamais, d’accueillir un adolescent trisomique en centre de vacances. Ce sont l’émotionnel et le sentiment d’échec relatifs à cet accueil qui parlent.
Avec le temps, je peux aujourd’hui porter en regard plus réfléchi sur cette expérience d’accueil d’un enfant handicapé en colo. Pourquoi a-t-on échoué ? Quels moyens auraient-ils été nécessaires à son intégration sur le centre ?
Sans doute aurait-il fallu mieux préparer l’arrivée de ce jeune sur le centre. Une entrevue de quelques minutes n’a pas suffi pour pouvoir connaître les besoins spécifiques de Damien, ses habitudes de vie. Dans un souci de traiter Damien comme les autres, nous avons négligé le fait qu’ill était différent. Car une intégration réussie passe certainement par la prise en compte des spécificités du handicap, puis à une réflexion concernant les moyens à mettre en œuvre pour que le fonctionnement du centre s’adapte à cette problématique et non le contraire. Nous avons pensé que Damien s’adapterait... Mais sans doute fallait-il prendre le problème dans l’autre sens.
Les repères posés sur le centre en termes de vie quotidienne, d’adulte référent, n’étaient sûrement pas suffisants pour sécuriser Damien. Il avait sans doute besoin plus qu’un autre de rituels rassurants, de repères dans le temps et les espaces de vie. Peut-être cela explique-t-il ses colères et ses manies que nous n’avons pas su décoder. L’équipe n’a pas été préparée à cet accueil et n’a pas réfléchi avant le début du centre aux conditions de celui-ci. Les adultes n’ont pas non plus travaillé sur la place de Damien dans le groupe d’enfants, ni à son intégration dans les activités. Par manque de recul, chacun a donc fonctionné avec son affectif, retranché derrière ses peurs, ses angoisses. Parce que le handicap fait peur ! Il aurait fallu pouvoir poser tout cela sur la table avant l’accueil de Damien. Se dire les choses, puis passer au concret : qu’est-ce qu’on fait pour accueillir ce jeune dans les meilleures conditions ? Qui souhaite être l’adulte référent de Damien ? Son interlocuteur privilégié et celui de la famille aussi. Famille sur laquelle nous ne nous sommes que trop peu appuyés pour avoir les informations nécessaires à la prise en charge de Damien.
Damien a dû se sentir bien seul. Cette expérience n’a pas dû l’aider à vivre des choses positives et constructives dans le milieu dit « ordinaire ». Il a dû se sentir vraiment différent, vraiment en difficulté. En somme, tout le contraire des objectifs classiquement visés par l’intégration.
Aujourd’hui, j’aimerai pouvoir contribuer à l’accueil d’un enfant handicapé en centre de vacances, mais c’est sûr, je ferai les choses différemment. Parce que l’intégration nécessite une réflexion préalable en appui sur le projet pédagogique. Parce que l’intégration « sauvage » génère plus de dégâts que de bienfaits. Permettre à un enfant ou à un jeune de vivre une expérience d’intégration en milieu ordinaire en centre de vacances, oui ! Mais pas à n’importe quel prix.
Mélanie Le Fèvre, Les Cahiers de l’Animation Vacances Loisirs, n° 51