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Le moment du repas en collectivité représente une coupure, un moment de restauration, physique et psychique, qui doit être agréable. C’est aussi un moment d’organisation du groupe en dépit de son apparence récréative.
Quelques remarques s’adressant autant aux cantines scolaires qu’aux salles à manger des centres de loisirs !
Il est 12h 10, nous entrons dans la salle de restaurant, les enfants se bousculent pour aller chercher leur serviette, s’asseoir sur la chaise que tout le monde convoite. L’animateur tranche : désormais chacun aura une place assignée. Un enfant est désigné pour lire le menu, le repas peut alors commencer, l’entrée étant déjà servie sur les tables, les premières appréciations fusent « Ah, c’est pas bon, j’en veux pas, j’ai déjà goûté j’aime pas, mmh j’adore... » et lancent également les discussions qui vont accompagner le repas.
Finir ou pas son assiette ? En reprendre ou pas ? Tout est question de choix et d’objectifs, du temps que l’on s’accorde pour manger. En effet, dans plusieurs cantines, une fois l’entrée terminée, une course contre la montre s’engage (« Faut se dépêcher », « C’est qu’on a du boulot ! Faut qu’on lave les salles ! » commentent les dames de service).
Le plat de résistance arrive à grands pas sur le chariot, le silence est exigé pour le service. Attention à celui qui parle, la punition guette. Hélène, une animatrice a instauré un système de réprimande échelonné : dans un cahier elle inscrit le nom des « mauvais cantineurs » qui reçoivent une croix à chaque réprimande, « Au bout de trois croix, tu vas chez le directeur ! ». Afin de se simplifier la tâche, les dames de service ont rassemblé les enfants qui ne mangent pas de porc à une table isolée : c’est la zone « non-porc ». « T’es non-porc toi ? Moi ça dépend... J’suis porc ou non-porc, ça dépend des jours. » Faire de ce choix alimentaire une caractéristique dénominative conduit à la discrimination raciale. Dans le même esprit, le fait d’avoir assigné une place aux enfants, impose l’impossibilité de rencontrer les autres, isolant particulièrement ceux en difficulté.
Dans le cahier des charges envoyé à chaque surveillant nouvellement nommé en début d’année, il est précisé que chaque enfant se doit de goûter à tout... mais parfois les choses peuvent déraper : les menaces classiques tombent « Tu finis ton assiette, sinon pas de dessert ! » (comment goûter à tout alors ?), « Tu as voulu en reprendre alors tu finis. » « Vos parents payent pour ce repas, c’est une chance pour vous de pouvoir manger. »
Manger dans le « bruit » est une réalité. Une fatalité, une obsession, une angoisse... selon les points de vue. Cette pression sonore est fatigante : il est alors facile de s’embourber dans une spirale vicieuse de réglementation extrême. On commence par imposer aux enfants d’être silencieux pendant les services, puis pendant le repas, et au moindre mouvement, c’est la punition. Ainsi, une mécanique rigide punitive s’instaure, imposant sa logique imparable et absurde, qui soustrait au repas sa convivialité et sa simplicité d’origine. Les enfants sont punis, les animateurs se fatiguent. L’ultime punition est le « sacro-saint silence de fin de repas » que nous avons malheureusement fréquemment subi. Ce silence avant de sortir dans la cour n’est qu’une frustration pour l’enfant (voire un plaisir sadique de l’adulte satisfaisant alors son besoin d’une pseudo-autorité ?). Car ensuite, les enfants sont lâchés tels des fauves dans la cour. Ça se bouscule, ça tombe, ça se blesse, les animateurs peinent à canaliser le flux d’énergie. La récréation s’annonce alors mouvementée ; ce silence d’avant la sortie était-il bien nécessaire ?
Aline Berthier et Anne Villaume, Les Cahiers de l’Animation Vacances Loisirs, n° 48