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Le bureau de direction peut être pour les enfants un espace de médiation, d’expression et de rencontre privilégiée avec les adultes. Il peut également devenir le déclencheur d’activités nouvelles.
Les enfants on terminé le repas et sont répartis dans des groupes pour pratiquer des activités calmes. Je suis assis à une table et j’en profite pour faire un peu d’administration. Une des adjointes travaille sur l’autre bureau et prépare un planning pour le lendemain. Quatre enfants sont également dans la pièce.
Vivien s’entraîne au jonglage.. Il pose les balles, mime un chanteur avec le micro du magnétophone. Il nous raconte le concert d’Hélène qu’il est allé voir avec sa sœur...
Florian et Dorothée jouent au Mikado sur un coin de table disponible. Anthony est assis près de ma table et ne fait rien. Il observe.
Cette scène pourrait laisser penser que le bureau de direction est une sorte de salle des pas perdus, un lieu dont le rôle est mal défini et qui peut être occupé par tous. Ce n’est absolument pas le cas.
Cette pièce est clairement le lieu où l’équipe de direction travaille. Il n’est pas accessible à certains moments, voire même clos quand nécessaire. Mais il est souvent ouvert et si l’on y voit jamais ou très rarement certains enfants, d’autres éprouvent le besoin de venir régulièrement y rendre visite.
Le bureau de direction a quelque chose de mythique pour certains enfants, sorte d’antre du pouvoir, « c’est le bureau du directeur ». Mais c’est avant tout un lieu où travaille une équipe d’adultes généralement plus âgés que les animateurs. Ils ne participent pas en permanence à la vie des groupes et peuvent donc prendre du recul par rapport au vécu des enfants. Les enfants souvent y racontent des évènements de leur vie dont ils ont envie de parler : petites ou grandes choses, insignifiantes ou importantes...
Joëlle s’accroche souvent avec les autres enfants aussi, elle aime bien venir de temps en temps au bureau mettre de côté ses difficultés de relation avec le groupe. Pendant que nous travaillons, elle fait des boîtes en pliage. Tout à coup, elle s’arrête, lève le nez de sa feuille et me dit : « Tu ne vas pas te moquer de moi si je te dis quelque chose ? » Elle nous parle d’un petit rôle de figuration qu’elle a tenu dans un film, puis de la manière dont elle vit à la maison, au collège... Parfois, ce dialogue permet à certains enfants de recréer du sens et de mettre en dynamique des éléments de la vie quotidienne qui les entourent.
Maxime arrive dans le bureau alors que je suis en train de trier le courrier pour les différents groupes. Il prend un colis et me demande s’il est pour lui. Au début je pense qu’il souhaite s’amuser, mais je me rends vite compte que sa question est sérieuse et qu’à 6 ans, il n’a pas réalisé que ce sont le nom et l’adresse qui déterminent le destinataire du colis. Je le lui explique, il « m’aide » à trier le courrier, puis retourne avec son groupe.
Parfois les enfants se contentent de nous regarder travailler. Cela fait 1/4h que je fais de la comptabilité, le nez dans mes budgets et Tristan me regarde, bien sagement, visiblement très intéressé et intrigué. Je lui explique en un mot ce que je suis en train de faire et replonge dans mes chiffres. Tristan restera encore 1/2h à m’observer attentivement. Au fait, avait-il déjà vu un adulte qui travaillait ? S’était-il déjà interrogé sur l’origine de tout ce qui l’entourerait dans le centre et sur le travail qui pouvait y être lié ? On l’avait sûrement déjà emmené visiter des musées ou voir les singes au zoo, mais certainement pas un adulte occupé à faire de la comptabilité.
Parfois les enfants évoquent ce qui se passe dans le groupe, leurs difficultés d’adaptation, les problèmes qu’ils rencontrent, ce qu’ils considèrent comme étant des injustices.
Ces jeunes ont souvent du mal à traiter sans une réponse violente les difficultés de
relation auxquelles ils sont confrontés.
Cette situation leur donne la possibilité de se trouver sur un « terrain neutre » pour évoquer le problème qu’ils rencontrent, « à froid » et avec du recul.
Nous sommes au bureau et nous réfléchissons à des lieux de camping potentiels, quand soudain on entend dans le couloir une violente altercation. Régis est à deux doigts de se battre avec son animateur. Tous les deux sont rouges de fureur et l’agressivité est à son comble. Je m’interpose, l’adjointe raccompagne l’animateur et je demande à Régis d’aller dans le bureau pour se calmer. C’est un enfant qui a de très gros problèmes personnels et a des relations très agressives avec les autres.
Suite à l’affrontement avec l’animateur, il est sous l’emprise d’une violence qui le déborde et poursuit sur sa lancée. Je le saisis fermement par la bras et l’emmène au bureau. Régis crie : « J’en ai assez, vous êtes tous contre moi ! » Je lui réponds le puis tranquillement possible : « Je ne peux pas parler avec toi dans cet état. Tu vas te calmer et ensuite nous verrons », puis je reprends mon travail.
Régis va s’asseoir dans un coin de la pièce où il reste dans rien faire. D’abord, il marmonne toutes ses rancœurs, puis il se tait.
Au bout d’un moment, comme si rien ne s’était passé, il vient me voir pour me demander ce que je fais. Nous parlons des difficultés qu’il rencontre avec le groupe et nous nous mettons d’accord que dans la mesure du possible, il viendra au bureau quand il sentira que les choses vont déborder.
Il y sera toujours le bienvenu.
De temps en temps, un enfant vient passer un moment au bureau, parce qu’il a besoin d’être éloigné du groupe et que la confrontation avec les autres enfants ou les animateurs n’est plus possible. Mais du fait de l’ouverture fréquente du bureau aux enfants, cette mise à l’écart momentanée n’est pas vécue comme une sanction. Elle est bien située dans sa démarche qui est de rompre avec l’engrenage de l’agressivité et la montée de la violence. S’il n’y est pas déjà venu de lui-même, l’enfant sait que le bureau est fréquenté volontairement et régulièrement par d’autres avec un plaisir évident. Il est donc plus à même d’entendre le discours qui lui est tenu : « On en résoudra rien en étant énervé. Tu es ici pour te calmer, car ce n’est pas possible dans ton groupe. Ensuite, tu me raconteras ce qui te pose problème et nous essayerons d’y apporter des solutions. »
Des balles de jonglage traînent, oubliées par un animateur. Un enfant essaye, puis un autre, un troisième ayant plus d’expérience donne des conseils puis fait une démonstration. Visiblement ces balles sont de fabrication artisanale, un des enfants s’interroge : « Qui les a faites ? Qu’y a-t-il à l’intérieur ?... »
L’expert en jonglage donne des explications mais les enfants ne sont pas d’accord : « Si on coupait un ballon, ça fuirait ». Je suis pris à témoin et confirme les explications de l’expert. « Alors c’est facile à faire » s’exclame un des enfants néophytes. Lorsque les enfants sont dans le bureau, on peut être amené à parler d’activité avec eux. Parce qu’ils ont vu un objet, un jeu, une fiche, une carte ou qu’ils parlent de ce qu’ils ont vécu dans leur groupe. Parfois, ils racontent ce qu’ils ont fait dans un autre centre de vacances ou avec leurs parents. On parle, on montre, on répond aux questions... À l’enfant de reprendre, s’il le désire, les informations glanées pour proposer des activités à son groupe.
Olivier Ivanoff, Les Cahiers de l’animation Vacances Loisirs n°27