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Et si cette simple question permettait de faire évoluer certaines pratiques ?
Il est midi, l’heure d’aller manger. Par petit groupes les enfants vont se laver les mains afin d’effacer les traces de feutres, de terre ou de peinture de la matinée. Tous n’évoluent pas au même rythme. Les plus rapides doivent attendre dans le calme que les plus lents aient terminé.
Comme chaque jour, ils vont se mettre en rang et avancer, sans courir, jusqu’à la porte de la salle à manger. L’animatrice n’ouvrira celle-ci que lorsque le rang sera reformé correctement et qu’il n’y aura plus de bruit.
Enfin la porte s’ouvre, les enfants peuvent entrer en silence et prendre place à table. Cette opération varie chaque jour de 5 à 15 minutes en fonction de l’état d’excitation de chacun. L’animatrice crie immanquablement et les enfants arrivent contraints et contrits devant leur assiette.
Cependant, la mise en rang par deux avant le repas et l’entrée en groupe dans la salle à manger sont mises en place depuis des années et et font maintenant partie des habitude de la vie quotidienne de ce centre de vacances.
Dans cette école, c’est la classe de maternelle qui fait preuve d’habitudes les plus étranges. 5 minutes avant l’arrivée des petits dans la salle à manger, l’équipe de service ferme rapidement tous les volets afin de baigner la pièce dans l’obscurité. Seul reste un rai de lumière qui permet aux enfants de voir leur assiette et ce qui se trouve dedans.
Les animateurs se sont mis d’accord... la lumière risque d’exciter les enfants tandis que la pénombre leur permet de rester au calme. De plus, ils sont prêts pour la sieste obligatoire qui suit le repas.
La fermeture des volets dans la salle à manger est mise en place depuis des années et fait maintenant partie des habitudes de la vie quotidienne de cette école.
Ici, la situation est différente. Les enfants sont à table en train de déguster les vol-au-vent préparés avec grand art par le cuisinier, lorsqu’un animateur entre dans la salle à manger, jette un regard circulaire et avance vers la tables des grands.
— Cédric, tu m’enlèves cette casquette s’il te plaît.
— Mais pourquoi ?
— Parce que c’est comme ça. Où est-ce qu’on a vu qu’on mangeait avec un casquette ?
Cédric obtempère. Il quitte sa casquette et l’attache à sa ceinture. Les copains s’esclaffent alors à la vue de ses cheveux aplatis par de longues heures passées sous son couvre-chef préféré rivé sur sa tête. L’interdiction de porter un chapeau pendant les temps de repas existe depuis des années et fait maintenant partie des habitudes de vie quotidienne de ce centre de vacances.
Ces pratiques sont-elles justifiées, ont-elles un sens réel ? Pourquoi sont-elles lises en place ? Par habitude, parce que l’on a toujours connu ça ? Ou parce qu’elles ont une réelle nécessité ? Car enfin, est-il réellement utile de mettre les enfants par deux, de les plonger dans la pénombre pour assurer le bon déroulement du repas ? Manger tête nue facilite-t-il la mastication des aliments ? Gardons à l’esprit que les enfants, qu’ils soient en centre de vacances ou à l’école, doivent vivre ces moments de repas avec plaisir. Ce plaisir leur apportera une qualité de vie au quotidien, sera source de réels apprentissages, en tous points bénéfiques.
Alors pourquoi contraindre les enfants, les plier à nos habitudes, ou même nos manies qui après nous avoir enfermés, les enfermeront à leur tour. Peut-être faut-il différencier ces habitudes personnelles des codes collectifs que la société nous impose et que nous transmettons à notre tour. Libre à chaque individu de les adopter ou non.
Il faut garder à l’esprit que les jeunes sont de plus en plus réfractaires à une transmission du savoir de type patriarcal. Désormais habitués à expérimenter et mener leurs propres réflexions, ne sont-ils pas conscients de la non-légitimité que nous leur imposons ? Car en fait, n’y a-t-il pas mystification si je fais croire aux enfants que le fait d’enlever sa casquette pour manger est un réelle nécessité ? N’y a-t-il pas abus de confiance et de statut ?
Pourtant, je comprend que nos pratiques ne sont pas motivées par de mauvaises intentions. Mais dans ce cas, si le fond est bon, ne pouvons-nous pas y ajouter un instant de réflexion afin d’en dégager la pertinence, la cohérence et les raisons ?
Nous pourrions alors conserver nos méthodes et pratiques utiles, censées et éducatives afin de permettre aux enfants de s’intégrer dans notre société. Et éliminer nos habitudes surannées, gratuites, inutiles afin de permettre à notre société d’évoluer et de s’adapter à sa nouvelle génération. Le centre de vacances prendra alors toute la mesure de son rôle d’intégrateur social.
Il y a encore des années, il ne fallait pas boire plus de deux verres d’eau à table. Habitude ? Nécessité ? Heureusement, aujourd’hui les enfants boivent à leur convenance pendant les moments de repas. Cette modification a été possible parce que des éducateurs se sont interrogés sur la justification de leurs actes, se sont remis en question.
Et si nous nous arrêtions un instant pour faire le point sur nos pratiques ? Interrogeons nous sur la pertinence de ce que nous mettons en place. Gardons à l’esprit que nos habitudes ne sont pas forcément légitimées pas le nombre d’années qu’elles ont traversé. Continuons à nous demander : « Pourquoi ? »
Valérie Michaud, les Cahiers de l’Animation n°32, CEMEA, 4ème trimestre 2000.