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Un quartier périphérique de Tours, un supermarché, une zone d’activités techniques et commerciales, une cité HLM, une rocade, un tunnel sous la rocade... et au bout du tunnel... des enfants bâtisseurs de cabanes, des enfants jardiniers et bricoleurs, des enfants jouant avec l’eau, la terre, le feu... et des adultes vigilants attentifs à leurs jeux.
Des cris, des disputes, des éclats de rire couverts régulièrement par le passage d’un train derrière le haut grillage qui sépare ce terrain d’aventure de la voie de chemin de fer.
Il reste donc des terrains d’aventure. Celui-ci s’appelle le Champ Bouboule.
Nous avons rencontré Marcel, Gilles et Éric, responsables et animateurs de cet espace de loisirs original géré par le centre social Giraudeau de Tours. Ils nous ont raconté un peu de l’histoire et de la vie du Champ Bouboule.
Les Cahiers : Quelle est l’histoire de ce terrain ?
Marcel : Il a maintenant huit ans. Il est né à la suite d’un congrès des centres sociaux dans lequel on s’interrogeait sur la place des enfants dans la ville. Les enfants n’ont ni la possibilité ni le droit de jouer sur les pelouses quand il y en a, dans les caves, sur les parkings.
Nous avons voulu créer un endroit où les enfants peuvent se retrouver, jouer, faire des bêtises, agir et rencontrer des adultes disponibles.
Au départ, le terrain était installé sur un ancien verger devenu terrain vague, mais un plan de rénovation du quartier nous a conduit à déménager. Nous avons réussi à garder un bout d’espace et obtenu la construction d’un tunnel piéton sous la rocade pour y accéder.
Les Cahiers : Quelles sont les conditions d’accès, quel est le fonctionnement ?
Marcel : Le terrain est ouvert le samedi après-midi, le mercredi, le soir après l’école et pendant les vacances scolaires. Son accès est gratuit, il n’y a pas d’inscription préalable ; les enfants doivent juste signaler leur présence quand ils arrivent.
Soixante-dix enfants et jeunes de six à dix-sept ans fréquentent le terrain plus ou moins régulièrement ; ils sont rarement plus de trente-cinq au même moment..
Les animateurs ne font pas de propositions systématiques d’activités ; ils construisent et aménagent avec les enfants, ils bricolent eux aussi.
Dans le local, les enfants peuvent s’installer pour faire leurs devoirs, les animateurs les aident s’ils sont sollicités mais ils ne contrôlent pas, c’est l’aide possible aux devoirs, pas du soutien scolaire. « Nous voulons que le terrain reste un lieu de jeu et de plaisir ».
Ce mercredi-là, pourtant entrecoupé d’averses, ils sont bien une trentaine à s’être aventurés par là.
Quelques-uns autour d’un feu qu’ils n’arrivent pas à ranimer tellement ils ont entassé de papier et de bois à faire brûler, un foyer énorme entouré d’un muret de pierres...
D’autres autour d’un plan d’eau, appelé piscine, font flotter des palettes, des morceaux de bois, de plastiques, s’aspergent, se disputent...
Un arbre est encerclé et habité. Quatre enfants sont perchés dans les branches et installent des planches qu’ils réclament à ceux qui sont restés en bas, des plus petits. La cabane fait des envieux, une attaque se prépare...Un tournoi de baby-foot rassemble des grands qui réclament la participation d’Éric, un animateur...Derrière le jardin potager, sans jardiner ce jour-là, deux basketteurs enchaînent paniers sur paniers...
Du vacarme aussi dans le local, on déménage, on range, on nettoie, on réaménage... le coin bibliothèque est bien rangé mais désert...
Il reste des stigmates d’un cambriolage récent : portes cassées, panoplies dénudées...
Les Cahiers : Gilles et Éric, vous êtes animateurs à temps plein au champ Bouboule, quel est votre rôle ? Que faites-vous avec les enfants ?
Gilles : Ici, c’est un lieu d’expérimentation, un espace privilégié d’accueil, d’échange, de communication et qui sert de point de départ pour les projets des enfants du quartier. Il y a un contrat entre les enfants et nous, sinon cela peut devenir explosif.
On est là aussi pour mettre à disposition le potentiel du terrain et nos compétences personnelles, pour que tout le monde y trouve sa place. On fait respecter un minimum de règles, c’est vrai que c’est une structure permissive par rapport à d’autres, le cadre est plus large mais on tente d’en faire accepter un... Par exemple, on n’empêche pas les engueulades, les injures, les petites bagarres ; les règles de la cité fonctionnent aussi ici, ce sont celles des enfants, ils se les fixent entre eux. Mais il nous arrive d’exclure quelqu’un s’il dépasse le contrat minimum, on n’accepte pas d’être agressé ou que le terrain soit agressé.
Les Cahiers : Quelles sont vos interventions concernant les activités des enfants ?
Éric : D’abord, nous sommes pourvoyeurs de matériaux et de matériels. On fait fonctionner des pôles d’activités que l’on alimente, que l’on préserve, que l’on aménage, que l’on range, avec la participation des enfants.
Et puis, on accompagne les jeux, les constructions, les tâtonnements des enfants.
Il y a le pôle bois avec des outils, du bois de récupération... Le pôle feu que l’on a récemment réaménagé (nous avons obtenu une autorisation spéciale de la municipalité pour continuer à faire du feu).
Il existe une piscine d’eau peu profonde, un peu trouble surtout après la pluie, dans laquelle on joue à immerger des objets, à les faire flotter...
Le pôle jardin avec les outils de jardinage, les graines, les cueillettes à surveiller...
Il y a les pôles plus sportifs que l’on veut redynamiser : bi-cross, skateboard, basket...
Et puis le local, avec les livres, les jeux de société, le matériel de bricolage, de quoi peindre, dessiner...
Les Cahiers : Peut-on dire que vous animez des activités ?
Gilles : Je préfère dire que l’on accompagne les activités des enfants. On participe, on intervient mais on reste attentif et disponible à tout ce qui se passe. Il ne s’agit pas d’intervenir pour intervenir, pour se croire utile. Il faut saisir le moment où l’on peut être efficace.
Éric : On conduit aussi l’Aventurobus ; il nous permet de sortir, d’aller à la piscine, en ville, en forêt, à la patinoire...
En ce moment, on prépare les séjours de l’été. En juillet et en août, trois groupes vont partir du terrain d’aventure.
Les Cahiers : Quel a été ton rôle dans l’organisation des ces séjours ?
Éric : Je suis plutôt l’animateur référent pour les « ados ».
Ils disaient vouloir partir mais ne savaient pas spécialement où aller. J’ai proposé La Rochelle au moment des Francofolies.
Ils étaient partants. Certains ont participé à des jeux organisés par la radio locale et ont gagné des places gratuites ; on recherche maintenant des compléments de financement du côté de la direction de la jeunesse et des sports.
J’ai donc eu un rôle d’accompagnement et de coordination.
Gilles : Il nous arrive aussi d’accompagner des enfants dans des lieux d’activités spécifiques, des ateliers animés par des animateurs spécialisés, dans le cadre des autres actions menées par notre centre social. Dans ce cas, nous allons voir les animateurs concernés avant d’emmener le groupe ; on précise les demandes des enfants ; pendant l’activité on intervient, on garde un rôle pédagogique.
Les Cahiers : Quelle différence voyez-vous entre le travail que vous faites ici et celui d’un animateur en centre de loisirs ?
Gilles : Ici, on a pas de cadre horaire précis, les enfants peuvent arriver ou repartir à tout moment, c’est un accueil libre et gratuit.
Dès qu’ils arrivent, ils se joignent à un groupe qu’ils choisissent ou viennent voir un animateur, qu’ils choisissent aussi...
En centre de loisirs, les activités des enfants sont souvent pré-organisées et conduites par des adultes ; ici c’est l’espace qui est à disposition des enfants, avec des matériaux, des outils... On veille surtout à ce que tout soit à disposition des enfants pour qu’ils puissent agir sur l’espace.
Ce n’est pas très sécurisant pour l’animateur... On peut parfois avoir l’impression de ne servir à rien ou d’être seulement un gardien, voire se laisser aller à ne rien faire. Ce sont les enfants qui nous sollicitent ou plutôt c’est la dynamique des enfants qui suscite nos interventions. En centre de loisirs, l’animateur cherche souvent à susciter, à provoquer les activités des enfants en anticipant sur leurs besoins, leurs intérêts.
Nous essayons de comprendre et de savoir la demande formulée verbalement ou non par les enfants, et nous les accompagnons et les soutenons dans leur projet.
Il existe d’autres lieux dans d’autres villes qui s’appellent aussi terrains d’aventure.
Il existe partout des structures qui s’appellent centres de loisirs ou centres de vacances.
Partout des animateurs qui agissent qui agissent avec des enfants.
Ceux que nous avons rencontrés au champ Bouboule parlent surtout d’espace, de territoire, d’outils, de matériaux, de construction...
D’autres auraient peut-être davantage parlé de temps, d’horaire, de séquences d’activités...
Les structures de loisirs pour les enfants : espace de pratique d’activités ou pratique de l’espace, actions sur l’espace ?
Voilà une question à poser, une question à se poser quand une équipe d’animation construit son projet pédagogique.
Le champ Bouboule n’est pas seulement un espace où se pratiquent des activités, c’est un espace que les enfants construisent, déconstruisent, reconstruisent... et pendant les travaux l’animation continue.
Ce n’est pas le terrain d’aventure qui occupe les enfants mais les enfants qui occupent le terrain.
Marie-Claude Bonnault, Dossier des Cahiers de l’animation n°1 : Les centres de loisirs.
©CEMÉA