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Activités spontanées

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Dans le numéro de janvier 2001 des Cahiers, Robert Lelarge présentait notre conception de l’activité, les deux articles qui suivent approfondissent la notion d’activité spontanée. Bien qu’écrits à quelques années d’intervalle, nous prévient leur auteur, ils développent une conception d’une grande actualité compte tenu d’une tendance à la marchandisation des activités en centre de vacances et de loisirs et de l’évolution du comportement des enfants. Il s’agit ici d’extraits de l’article.

ACTIVITÉS SPONTANÉES

Patrick Dessez

« L’éducation sait patienter parce qu’elle est désintéressée, pressée, perfectionniste, activiste, formaliste. Interrogeons-la. Interrogeons-nous.  » [1]

À Luthezieu, au fond d’un grand parc, un petit bois touffu. C’est ici que le groupe des moyens a décidé de matérialiser son territoire. Idée saugrenue pour quelques-uns : c’est loin du bâtiment, ce n’est pas pratique, il faut de nombreux déplacements, les enfants vont s’éparpiller, ils ne vont pas tous venir à la toilette... Et pourtant, ils ont tenu bon.

Dès le premier jour, les animateurs ont commencé à s’y réunir avec les enfants. Quelques-uns construisent des cabanes vite défaites, aménagent des coins ou élèvent un pont de singe. Ce fut leur unique terrain d’activités pendant huit jours. Ils jouent à la marchande, au cheval sur un tronc, aux cow-boys, ils discutent ou jouent à cache-cache. Une fille a commencé un arc, une autre finit une couronne de feuilles puis grave son prénom sur un bâton. Dans un coin, un solitaire plante des clous sur une planche pendant qu’un autre court en sautant des obstacles. Un petit groupe peint un totem en bois. N’imaginez pas des activités successives d’ensemble. Non, ces activités se déroulent en même temps. Aucune ne repose sur un choix verbal ou une inscription préalable. Aucune n’est réellement proposée par un animateur qui dit : « Aujourd’hui, je vais faire... » Non, ici, rien de tel, simplement des essais, des erreurs, des expériences, des inventions, des tâtonnements, des détours, c’est l’appropriation et l’exploration d’un territoire par sa transformation et « l’agir » de chacun selon son désir, son besoin et son intérêt. Les animateurs auraient pu confectionner un joli tableau et dire : « Qui veut jouer aux Indiens ? Qui veut faire des arcs ? » Non, détrompez-vous, ce n’est pas le lieu, ici, de stériliser l’invention et l’expérience en la restreignant et en la coupant de toute improvisation possible.

Regardez-bien cet enfant qui enfonce sur une planche une vingtaine de clous. II est très occupé, croyez-le bien, et ne lui dites surtout pas qu’il faut tenir son marteau sur le bout rouge : ce n’est pas le moment. Vous pourriez aussi lui apprendre à enfoncer un clou droit. Ce n’est pas son but. Il (s’)expérimente. Il se sert du marteau et du clou d’une autre manière que vous. Et celui qui essaye de voir si la scie marque une trace sur la pierre ? Allons, souvenez-vous. Qu’importe, il s’arrange toujours pour le faire sans que personne ne le voit, si on lui en laisse la possibilité. Et cet autre garçon qui tient un morceau de bois, croyez-vous qu’il Ie scie ? Non, il le frotte, le casse, le coupe ou le cisaille dans tous les sens, le tape ou enlève l’écorce. Imaginez-vous combien de temps et d’activités recouvrent ces verbes ?

Après cette expérience sensorielle, il construira un objet mais ce sera un objet bien biscornu, un garage comme vous n’en avez vu nulle part ou une guitare qui n’en a que les cordes. Le détour, l’apprentissage libre de la résistance de la matière sont nécessaires à l’expression de l’habileté et du désir lié l’un à l’autre. N’allons pas trop vite. Un perfectionnisme précoce est de mauvais augure pour l’avenir.

Je ne dis pas que la connaissance et le savoir-faire ne sont pas utiles à certains moments. Si l’animateur sait fabriquer un sifflet ou une corne, il peut commencer la fabrication. Mais n’hésitons pas à « perdre » du temps, à laisser l’initiative d’invention à l’enfant, ne restreignons pas son champ d’expérience nécessaire à une fabrication sans qu’il ait au préalable expérimenté avec originalité le milieu et la matière. Le simple bâton sera d’abord le pistolet du cow-boy avant d’être gravé puis fabriqué plus finement. Le bateau sera auparavant la planche sur laquelle ils essayent de tirer des pierres. N’abrégeons pas cette expérience. Laissons-lui le temps de se développer pour que la fabrication plus fine s’affirme sur la conduite ludique spontanée des enfants.

L’attention aux choses les plus simples et les plus quotidiennes oblige à se poser des questions sur la naissance des activités et les conditions nécessaires au déroulement de l’activité spontanée. Trop d’animateurs se plaignent d’une méconnaissance d’activités alors qu’il s’agit d’une mauvaise lecture de l’activité de l’enfant ou d’une organisation pédagogique qui empêche le développement de celle-ci en l’enfermant dans un temps et un espace qui contraignent à une présence constante des adultes et à la pratique unique d’activités productives.

«  L’autonomie est la faculté de juger et de réagir à n’importe quelle situation en faisant appel à une connaissance. Tel n’est pas l’objectif d’un conditionnement dont l’enfant émerge sans avoir connu la peur, sans avoir apprécié les dangers !  »
Alain Vadepied

La qualité de l’activité
Nous croyons trop souvent qu’une activité réussie est celle qui permet d’atteindre rapidement un but. À la limite, c’est un peu le contraire. La qualité de l’activité passe par la multiplication des possibilités d’activités spontanées de l’enfant et les enrichit en respectant les sentiers qu’emprunte chacun.

Alors, c’est sûr, le matériel et les outils peuvent être endommagés plus facilement. Quelques-uns nous ont dit que le matériel était gaspillé. Curieusement, ils nous ont affirmé aussi que le temps était gaspillé (entendez : les enfants font moins de choses productives par rapport à l’année dernière). On nous a même parlé d’attitude de consommation.

En fait, l’attitude de consommation, c’est bien celle qui consiste à faciliter la fabrication, à prédécouper des morceaux de bois pour qu’ils ne soient pas entaillés de mauvaise manière, à apprendre rapidement les gestes nécessaires pour ne pas détériorer le matériel et, en même temps, restreindre l’expérience maladroite utile à la compréhension active de ce geste, à envisager une organisation d’activités (de qualité certes et même, parfois, faites par les enfants eux-mêmes) avec un mode d’emploi précis : l’animateur. Vite, dépêchons-nous de trouver des activités, à raison de quatre par jour (4 x 30 jours = 150 !) Et nous aurons une belle vitrine devant chaque centre. Pourtant, si on observe le déroulement d’activités spontanées, on se rend compte que toutes les conditions de sécurité matérielle et psychologique sont réunies : les enfants ont leur rythme propre. Ils sont libres de circuler et d’utiliser les matériaux nécessaires à leur activité. Celles-ci sont variées. Elles ont un sens pour l’enfant. L’occupation du temps ne pose pas de problème. Bien sûr, je ne dis pas que l’activité spontanée se développe facilement. Je développerai ci-dessous les conditions et les caractéristiques des activités spontanées.

Espace vivant et acquisitions vécues
Les centres de vacances se situent le plus souvent dans un milieu rural qui se caractérise par un espace diversifié procurant une grande variété de matériaux et de possibilités d’activités.

Pour que ce milieu soit réellement vécu par l’enfant, il est nécessaire que l’organisation pédagogique permette d’abord une individualisation suffisante et la pratique d’activités libres de transformation de ce milieu. II faut également que la collectivité des enfants et des adultes aide à réaliser les projets exprimés par ces activités. Le centre de vacances devient, alors, le lieu de l’espace vivant et des acquisitions vécues, autrement dit des apprentissages liés à l’épanouissement de l’enfant.

Être actif
Trouver des activités ne semble pas, alors, la tâche prioritaire de l’équipe éducative. II s’agit, avant tout, d’installer toutes les conditions nécessaires de manière à ce que l’adulte puisse agir avec l’enfant pour étendre les possibilités d’activités plus élaborées qui s’expriment dans des projets que les enfants ont, à tout moment, le pouvoir de vivre à leur rythme propre, selon leurs désirs, leurs intérêts et leurs capacités. Cette démarche n’exclut nullement les formes différentes d’organisation (entreprises, choix, propositions...) mais elle procure la condition et la possibilité pour l’enfant de se forger, en agissant sur la matière et le milieu, son projet propre. II s’agit pour l’animateur d’attacher de l’importance à l’observation et à l’aménagement d’un espace et d’une structure pédagogique support de conduites diversifiées, non déterminées à l’avance.

« Le feu fascine les enfants ; il constitue l’activité presque unique de certains. Qu’il pleuve ou qu’il fasse beau, il y a presque toujours au moins un feu sur le terrain. La plupart des expériences qui naissent à partir de la découverte du feu sont du ressort de l’imaginaire : l’enfermer dans une boîte, l’enterrer, le faire monter à l’infini... Mais cet imaginaire bute le plus souvent sur la réalité sévère de la nature : il est difficile d’allumer un feu qui réponde à l’attente de départ (cuire, réchauffer, éclairer). Si la ville d’aujourd’hui sécrète mille feux artificiels (néons, enseignes lumineuses, feux de signalisation), elle livre à l’enfant une image inaccessible d’un feu magique et tout-puissant, d’un feu maîtrisé. La rencontre brutale de cet élément en liberté sur le terrain, redonne à l’enfant une vision réelle des choses. De même, le centre de loisirs qui offre un four électrique ne contribue qu’à renforcer, d’une part, la mystification de l’enfant par des objets magiques (on appuie sur un bouton et ça chauffe) et, d’autre part, sa sempiternelle dépendance à la technique possédée par l’adulte. Sur le terrain, l’enfant doit pouvoir mener à bien ses découvertes et ses essais : nos débuts d’animateurs de terrains pour l’aventure furent pleins d’erreurs à cet égard. Ainsi nous escrimions-nous à apprendre aux enfants la façon d’allumer un feu « correct » qui brûle bien : « Il faut mettre d’abord le papier, puis du petit bois, puis du gros bois... » Les enfants, quant à eux, persistaient à ne mettre que du papier sur les premières flammèches. Nous n’avions pas reconnu dans ce « feu-papier » une première étape essentielle de la relation de l’enfant à cet élément ; le feu que nous souhaitions était un feu servile, propre à servir les buts que peut se fixer l’adulte. La libre disposition des matériaux est, on le voit, le moteur de l’activité des enfants sur le terrain pour l’aventure » [2]

L’enfant manifeste l’émergence de son projet dans des activités spontanées et l’adulte favorise la réalisation de celui-ci en le lisant, en le reflétant et en l’orientant dans une pratique qui apporte satisfaction à l’enfant.

L’activité créatrice
L’activité ne prend son sens et, en même temps, sa valeur que si l’adulte ne coupe pas l’activité de sa signification et, notamment, de sa signification affective et relationnelle. C’est pourquoi, à mon avis, l’action de l’animateur en centre de vacances n’est pas seulement une application pratique de théories pédagogiques et psychologiques, d’apprentissages d’activités, mais surtout le prolongement d’un questionnement subjectif sur le sens de la réalité de ce qu’il découvre peu à peu, dans lequel la formulation de ses interrogations et de ses réponses, en confrontation avec celles des autres animateurs, joue un rôle fondamental de formation initiale. Le sens de l’activité n’y est pas donné mais il est recherché dans une étude de la genèse de l’activité et de sa continuité à travers les âges. La question fondamentale du rapport global de l’enfant à l’activité peut y être posée plus clairement.
L’activité spontanée est, avant tout, une activité créatrice. Elle introduit entre l’enfant, l’espace, les matériaux et les adultes un lien subjectif qui est la manifestation d’un besoin et d’un intérêt.

Une fille du groupe des grandes lit toute la journée. Bien sûr, nous aimerions qu’elle bouge un peu et nous lui proposons (puis imposons parfois). N’est-ce pas, là, ne la comprendre qu’avec nos « projections » théoriques sur le rythme de vie ? Nous pourrions peut-être essayer de parler avec elle, de l’écouter, de comprendre que, si elle lit, ce n’est certainement pas insignifiant pour elle. Le groupe des petits a envie de répéter le même jeu tous les jours. L’animateur voudrait bien varier. En fait, il suffit qu’il s’interroge sur cette envie et qu’il ne censure pas, dans l’activité, le désir qui s’y exprime, qu’on lui permette de parler en réunion de choses « aussi simples ».

Un dialogue réciproque d’une intensité relationnelle importante.

L’écoute attentive
L’animateur n’est ni le parent (plus proche de l’enfant et plus « prisonnier » de sa position affective), ni l’enseignant plus contraint par son statut, son programme. Sa moindre implication historique par rapport à l’enfant, le partage et la médiation de la vie quotidienne et des activités lui permettent d’engager avec les enfants un dialogue réciproque d’une intensité relationnelle importante. Par la brièveté du séjour et par l’organisation du partage collectif d’un vécu global attaché à la qualité de la vie quotidienne comme à celle des activités, le dialogue entre enfants et entre animateurs et enfants peut se fonder sur une écoute attentive centrée sur la découverte de chacun, répétée chaque année et libérée des statuts et des contraintes familiales et scolaires. L’enfant est véritablement sujet de ce qu’il dit et fait ; il est entendu ainsi par l’adulte qui dialogue avec lui. La disponibilité de chacun et le désir de dialogue sont facilités par une organisation pédagogique qui permet « de parler ensemble », d’agir en prenant son temps (prendre le temps et son temps), de faire des choses en échangeant à la fois son vécu quotidien et sa « vie d’ailleurs », d’être sujet responsable dans tous les moments de la vie collective. [3]

Une organisation collective
L’organisation de la collectivité doit être pensée pour répondre à cet objectif de libérer la créativité des enfants, et leurs permettre de jouer spontanément, sans les stopper en disant : « Les enfants, arrêtez tout, c’est l’heure de l’activité ! ».

Un jour, assis dans l’herbe, pensant à tout autre chose qu’aux enfants, le directeur vint me voir. Pris au dépourvu, j’essayai d’organiser un jeu. Je me souviens qu’à la fin il me proposa de m’asseoir à nouveau et, en regardant les enfants se rouler dans l’herbe, il me dit : « Ils ont peut-être envie que tu joues avec eux avant d’avoir besoin que tu les fasses jouer ». II exprimait plus brièvement ce que j’ai voulu dire dans cet article.

L’éducation nouvelle se caractérise par la confiance de l’adulte dans les possibilités propres à chaque enfant d’assurer son propre développement si l’adulte est présent pour l’aider à réaliser ses projets et non pour imposer des activités du dehors.

Documents joints

Notes

[1Les citations contenues dans cette première partie sont extraites de l’excellent livre d’Alain Vadepied : Laissez l’eau faire, Paris, ed. du Scarabée.

[2B. Vergnes et coll. : Du terrain pour l’aventure, Paris, Maspéro, 1975

[3G. Le Guillant : « Parler ensemble  », in VEN n°264.

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